Voici une illustration intéressante de la manière dont la Cour de cassation apprécie la liberté d’expression lorsque le sujet traité en vaut la peine, peu important finalement la forme choisie.
La Cour de cassation réaffirme ici un principe qu’elle a eu l’occasion par le passé de poser : la liberté de la presse et le droit à l'information du public autorisent la diffusion de l'image de personnes impliquées dans un événement d'actualité ou illustrant avec pertinence un débat d'intérêt général, dans une forme librement choisie, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine.
C’est le principe dont la première chambre civile de la Cour de cassation a donné une nouvelle illustration dans un arrêt récent (ref. Cass. civ. 1, 29 mars 2017, n° 15-28.813, FS-P+B+I).
Dans cette affaire, une chaine télévisée nationale avait diffusé un reportage relatant l'histoire d'une jeune femme qui avait fait croire, pendant plusieurs années, sur internet, qu'elle était atteinte d'affections graves.
Le reportage mis en cause comportait une séance filmée en caméra-cachée, au cours de laquelle deux journalistes s’étaient fait passer, l'un pour une amie de celle-ci, l'autre, pour son compagnon, venant consulter le Docteur Paul X…, médecin généraliste, auquel la jeune femme s'était adressée à plusieurs reprises.
Le procédé pouvait-il apparaître choquant ?
Invoquant une atteinte à son droit à l’image, le médecin avait assigné la société éditrice de la chaîne télévisée afin d’obtenir réparation du préjudice qu’il estimait avoir subi de ce fait.
En première instance, la chaîne télévisée fut condamnée à payer au médecin une somme de 2.000 € à titre d’indemnité bien que le tribunal ait retenu que le reportage incriminé ne relevait pas de sa vie privée, mais de son activité professionnelle et que l’atteinte au droit à l'image n'était pas caractérisée dans la mesure où le visage du médecin était flouté en permanence et sa voix, modifiée.
La société éditrice de la chaîne télévisée avait donc logiquement interjeté appel.
En appel, la Cour confirma pourtant l'atteinte au droit à l'image du médecin.
Pour ce faire, les juges d’appel avaient retenu que la séquence litigieuse était en réalité précédée et suivie d'un commentaire en voix off de nature à dévaloriser la personne ainsi montrée au public et que, si le sujet était effectivement un sujet de société en ce qu'il avait pour but de prévenir le public des dérives découlant de l'utilisation du réseau internet, cette présentation de l'image du Docteur Paul X…. comme étant le médecin qui s'est laissé berner par sa patiente n'était pas, dans la forme qui a été adoptée, utile à l'information des téléspectateurs.
La société éditrice de la chaine télévisée décida de former un pourvoi.
Au visa des articles 9 et 16 du Code civil et 10 de la CEDH, la Cour de cassation censure l'arrêt d'appel, mais seulement en ce qu'il avait dit que le médecin avait souffert d'une atteinte à son droit à l'image et subi un préjudice inhérent à cette atteinte.
Rappelant que la liberté de la presse et le droit à l'information du public autorisent la diffusion de l'image de personnes impliquées dans un événement d'actualité ou illustrant avec pertinence un débat d'intérêt général, dans une forme librement choisie, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine, la Cour de cassation considère au cas présent que les juges d’appel avaient rendu leur décision par des motifs « impropres à caractériser une atteinte à la dignité » du médecin filmé en caméra-cachée, au sens notamment de l’article 16.
L’affaire a donc été renvoyée devant une autre Cour d’appel, à charge pour elle de relever ou non, dans une telle espèce, des circonstances propres à caractériser ou non une atteinte à la dignité du médecin, la seule dévalorisation de celui-ci n’étant pas suffisante aux yeux de la Haute Juridiction.
Ce qu’il faut retenir dans cet arrêt de principe, c’est la latitude relativement grande qu’accorde la Cour de cassation quant aux moyens utilisés pour parvenir à assurer une information de qualité à l’attention du public dans un sujet présentant un intérêt particulier et tout spécialement si c’est un sujet d’actualité.
Finalement, la seule limite qu’elle impose, c’est la dignité de la personne concernée.
Mais, la notion de dignité que la Cour de cassation s’est abstenue ici de définir est une notion floue.
Dans tel cas le propos ou le procédé seront jugés indignes ; et dans tel autre, ils seront jugés dignes.
Bref, il est toujours bon de mesurer le risque avant toute publication ou diffusion, et en amont, de s'entourer des conseils.
Pour tous renseignements ou conseils,
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M. le Bâtonnier Arnaud de SAINT REMY
Avocat associé en charge du Pôle des affaires de droit de la presse, des médiats et de l’Internet
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