Urbanisme commercial : Une nouvelle méthode de décompte des voix des membres de la CNAC très discutable

Urbanisme commercial : Une nouvelle méthode de décompte des voix des membres de la CNAC très discutable

Comment décompter les voix des membres de la Commission Nationale d’aménagement commercial (CNAC) laquelle rend un avis en matière d’autorisation d’aménagement commercial ?

Par deux arrêts récents, la Cour administrative d'appel de Douai y a répondu : la majorité des membres présents n’est ni une majorité absolue, ni la seule majorité des suffrages exprimés.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2014-626 du 18 juin 2014, l’article L. 425-4 du Code de l’urbanisme dispose désormais que :

« Lorsque le projet est soumis à autorisation d’exploitation commerciale au sens de l’article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d’autorisation dès lors que la demande de permis a fait l’objet d’un avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d’aménagement commercial ».

Ces nouvelles dispositions instaurent un nouveau permis de construire, tenant lieu également d’autorisation commerciale. Ce permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale ne peut être délivré qu’après avis conforme des commissions d’aménagement commercial.

L’article R. 752-38 du Code de commerce, prévoit, à propos des délibérations de la CNAC, que :

« L'avis ou la décision est adopté à la majorité des membres présents. En cas de partage égal des voix, la voix du président est prépondérante.
L'avis ou la décision est motivé, signé par le président et indique le nombre de votes favorables et défavorables ainsi que le nombre d'abstentions ».

Outre la nécessité de réunir le quorum nécessaire à toute délibération, les membres de la CNAC ne peuvent émettre un avis, quel que soit le sens qu’ils entendent lui donner, qu’à la majorité des membres présents.

Dans les deux affaires qui lui étaient soumises, la Cour, saisie par des concurrents du bénéficiaire du permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, disposait d'un avis de la CNAC dont le caractère favorable était âprement discuté.

Dans les deux cas, la situation était la suivante : huit membres présents dans le premier cas s'étaient partagés entre 4 votes « pour», 2 votes «contre» et 2 abstentions. Dans le second cas, 7 membres présents s’étaient répartis en 3 voix « pour », 2 voix « contre » et 2 abstentions.

Par ces deux arrêts, la Cour clarifie trois points :

- Il faut prendre en compte les abstentionnistes

Selon la CAA de Douai, la lettre de l’article R. 752-38 ne souffre d’aucune ambiguïté : « L'avis ou la décision [de la CNAC] est adopté à la majorité des membres présents », et non des seuls suffrages exprimés.

Dès lors, les voix des abstentionnistes doivent être prises en compte.

- La majorité des présents ne s’entend pas comme majorité absolue

La Cour considère que l’absence d’ajout du qualificatif absolu à l’expression « majorité des membres présents » n’est pas constitutive d’un silence des textes permettant d’exclure du décompte les abstentionnistes.

Ainsi la Cour a jugé dans le premier cas que 4 votes favorables, 2 votes défavorables, 2 abstentions pour huit membres présents constitue un avis favorable, et dans le second cas, 3 voix favorables, deux votes défavorables, 2 abstentions pour 7 membres présents, un avis défavorable.

- La règle de la prépondérance de la voix du Président ne s’applique qu’en cas de partage des voix exprimées

Ce n’est que dans l’hypothèse où les votes négatifs sont égaux aux votes positifs que la prépondérance de la voix du Prédisent s’applique. On ne tient pas compte des abstentions.

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La position de la Cour visant à décourager l’abstention en la prenant en compte est cependant très critiquable puisqu’elle peut aboutir à des situations peu compréhensibles. Elle est au surplus contraire au règlement intérieur de la CNAC, fragilisant ainsi la sécurité juridique de ses avis et des permis délivrés jusqu’alors.

Un projet rassemblant 4 voix favorables, contre 4 voix défavorables pourra toujours espérer, par le biais d’une voix présidentielle prépondérante, recueillir un avis favorable.

Inversement, un projet rassemblant 4 voix favorables, mais ne comptabilisant que 3, 2 ou 1 seule voix défavorables, perdra inévitablement toute chance de bénéficier d’un avis favorable, alors même qu’un nombre moins important de membre de la commission s’y seront explicitement opposés.

On ne peut toutefois déduire d’une abstention prononcée par un membre de la CNAC, qu’il s’y oppose.

L’avis de la CNAC étant un avis conforme liant l’autorité compétente en charge de délivrer le permis de construire, une erreur dans le décompte des voix entraine ipso facto l’annulation de l’arrêté délivrant le permis de construire portant autorisation d'exploitation commerciale.

Une telle interprétation peut remettre en cause de nombreux projets, à enjeu économique fort, pourtant finalisés. En effet, le contentieux relatif aux autorisations d’exploitation commerciale est bien souvent jugé après que les bâtiments objet de l’autorisation soient construits.

èLa régularisation de la situation par une nouvelle demande de permis ou la confirmation de la demande initiale devra reprendre la procédure ab initio, qui compte tenu de la consultation des commissions départementale et nationale, prendra plus d’une année, sans garantie de succès, alors que l’ouvrage est d’ores et déjà construit et exploité....

La guerre des grandes surfaces n’en sera que plus vive et procédurière !

Pour tous renseignements, vous pouvez contacter :

Sandrine GILLET
avocat associée en charge du Pôle Droit administratif du cabinet EMO HEBERT, titulaire du certificat de spécialisation en droit public, et son équipe
sgillet@emo-hebert.com