Jurisprudence : L’indemnisation automatique du fait d’un manquement de l’employeur

Jurisprudence : L’indemnisation automatique du fait d’un manquement de l’employeur

Les dommages et intérêts sont-ils automatiques ?

Quels sont les faits ?

Une salariée ayant la qualité de monteur lunetier vendeur demandait des dommages et intérêts en réparation de deux manquements de son employeur :

- De l'avoir privée de la pause légale les lundis, en la faisant travailler de 9 h à 19 h 30

- De l’avoir fait travailler trois fois pendant un arrêt maladie de 2014-2015 pour accomplir, ponctuellement et sur une durée limitée, une tâche professionnelle

La Cour d’Appel refuse l’indemnisation au motif que la salariée ne démontre aucun préjudice découlant des manquements de l’employeur.

Elle relève par ailleurs que la salariée ne s'était jamais plainte, tout au long de la relation contractuelle, de ne pas avoir pu bénéficier de ses pauses, et qu’elle a été rémunérée de toutes les heures réalisées, soit sous forme d'heures supplémentaires, soit par l'octroi de repos compensateur.

La salariée s’est donc pourvue en cassation.

Quelles sont les règles ?

La Cour de cassation répond, coup sur coup pour chacun des deux manquements que :

- le seul constat du non-respect du temps de pause quotidien ouvre droit à réparation et,

- le seul constat du manquement de l'employeur en ce qu'il a fait travailler un salarié pendant son arrêt de travail pour maladie ouvre droit à réparation.

Elle instaure ainsi une réparation automatique pour ses deux manquements sans que le salarié n'ait la nécessité de démontrer son préjudice.

Quel est l’apport de l’arrêt du 4 septembre 2024 ?

En matière civile, le demandeur en réparation d’un préjudice se doit de démontrer son existence et son étendu et plus particulièrement que celui revêt les caractères suivants : direct, certain, personnel et légitime.

En droit du travail, pendant longtemps, l'essentiel des manquements de l’employeur entrainaient, à eux seuls, le versement automatique de dommages et intérêts sans que le salarié n’ait à démontrer le préjudice.

C’est ce qui était appelée la théorie du préjudice nécessaire.

La Cour de cassation avait mis fin à ce principe par un arrêt célèbre du 13 avril 2016 (n° 14-28.293) où elle jugeait que l'existence d'un préjudice et son évaluation relèvent du pouvoir des juges et n’est donc pas automatique. Il faut donc que le salarié en fasse la preuve.

Mais depuis lors, la Cour de cassation n’a eu de cesse que de revenir à la réparation automatique par diverses exceptions.

À titre d’exemples, on peut relever :

- Le dépassement de la durée hebdomadaire maximale de travail (Cass. soc. 26 janvier 2022, n° 20-21.636) ;

- Le dépassement de la durée hebdomadaire maximale du travail de nuit (Cass. soc. 27 septembre 2023, n° 21-24.782) ;

- Le dépassement de la durée quotidienne maximale de travail (Cass. soc. 11 mai 2023, n° 21-22.281) ;

- Le non-respect du repos quotidien (Cass. soc. 7 février 2024, 21-22.809)

- L’exécution de certaines prestations de travail pendant son congé de maternité (Cass. soc. 4 septembre 2024, n° 22-16.129)

- Violation du droit du salarié sur son image (Cass. soc., 14 févr. 2024, no 22-18.014)

L’arrêt commenté est une nouvelle occasion, pour la Cour de cassation, d’allonger la liste des exceptions donnant lieu à réparation automatique, ce qu’elle a fait par 3 arrêts le 4 septembre 2024.

Ainsi, la jurisprudence construit une distinction entre les manquements de l’employeur qui déclenchent une réparation automatique et ceux qui nécessitent la preuve d’un préjudice par le salarié.

Les critères permettant cet arbitrage restent difficilement identifiables et font peser une incertitude juridique sur la réparation du préjudice en droit du travail.

Arrêt : Décision - Pourvoi n°23-15.944 | Cour de cassation

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Emmanuelle DUGUE-CHAUVIN

Avocat associé spécialiste en droit social

En charge du Pôle social et du Pôle Santé-Sécurité au travail au sein du cabinet EMO AVOCATS

echauvin@emo-avocats.com

 

Marine DAMOY

Juriste en droit social

Pôle social du cabinet EMO AVOCATS

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