Coronavirus Covid-19 et baux commerciaux : report ou étalement des loyers pour les microentreprises ?

Coronavirus Covid-19 et baux commerciaux : report ou étalement des loyers pour les microentreprises ?

En période de confinement, et alors que de nombreux commerces sont désormais fermés, une question se pose : faut-il payer les loyers commerciaux du 2ème trimestre 2020 ?

Lundi 16 mars 2020, le Président de la République a annoncé, parmi les mesures visant à protéger les PME, la « suspension des factures d'eau, de gaz ou d'électricité ainsi que des loyers ».

L’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 publiée aujourd’hui précise :

« Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure, (…) :

1° Afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi, en prenant toute mesure:

g) Permettant de reporter intégralement ou d'étaler le paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d'être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises, au sens du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d'appartenance d'une entreprise pour les besoins de l'analyse statistique et économique, dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie ».

Dans l’attente des ordonnances qui permettront de connaître précisément les contours de cette mesure, voici quelques réflexions juridiques sur le sujet.

Quelles sont les entreprises éligibles ?

Selon l’article 3 du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 sont considérées comme des microentreprises, les entreprises qui :

• d'une part, occupent moins de 10 personnes ;
• d'autre part, ont un chiffre d'affaires annuel ou un total de bilan n'excédant pas 2 millions d'euros.

Cela signifie que les petites et moyennes entreprises (PME) qui d'une part, occupent moins de 250 personnes et, d'autre part, ont un chiffre d'affaires annuel n'excédant pas 50 millions d'euros ou un total de bilan n'excédant pas 43 millions d'euros ; de même que les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et grandes entreprises (GE), ne sont pas concernées par la mesure.

Il reste donc à déterminer le degré d’affectation de l’activité (quelle baisse de chiffre d'affaires ?) est nécessaire pour bénéficier de la mesure ; ce point devrait être précisé dans les prochains jours.

ATTENTION : Les entreprises concernées pourront bénéficier « d’un report ou d’un étalement du loyer » ce qui signifie que le loyer n'est pas effacé. Cette solution est moins avantageuse que la suspension un temps évoquée !

Comment obtenir un report ou une suspension ?

Le Gouvernement a précisé que pour bénéficier de ces reports, vous devez adresser directement par mail ou par téléphone une demande de report à l’amiable aux entreprises auprès desquelles vous payez ces factures (votre fournisseur de gaz, d’eau ou d’électricité, votre bailleur...).

S’agissant des loyers commerciaux, il est recommandé de notifier au bailleur la suspension des loyers sur le fondement de l’article 11 g) de la loi du 23 mars 2020, dans le respect du processus décrit, le cas échéant, au bail.
Concernant les commerces situés dans les centres commerciaux.

Dès le 16 mars 2020, le Conseil National des Centres Commerciaux (CNCC), a recommandé à ses adhérents (bailleurs) de prendre, à titre exceptionnel, les mesures suivantes :

- mensualisation des loyers et charges facturés au titre du deuxième trimestre ;
- suspension temporaire de la mise en recouvrement des loyers et charges du mois d’avril, dans l‘attente des décisions qui seront prises par le gouvernement d’ici au 15 avril 2020.

Dans un communiqué du 19 mars 2020, le CNCC a confirmé que « les opérateurs de centres commerciaux mettent actuellement en œuvre la mensualisation des loyers et charges du second semestre 2020 pour soutenir la trésorerie des enseignes. Ils ont également activé la suspension de la mise en recouvrement des loyers et des charges du mois d’avril, en particulier et en priorité au bénéfice des plus petites entreprises, dans l’attente des décisions qui seront prises par le Gouvernement après le 15 avril ».

De son côté, l'Union sociale pour l'habitat (USH), qui regroupe 660 opérateurs HLM à travers ses fédérations, a émis la recommandation suivante concernant les (nombreux) locaux commerciaux de proximité, situés en pieds d'immeubles, loués par les organismes HLM.

 Les organismes « pourront, selon la situation des commerçants locataires, suspendre le paiement des loyers des commerçants qui sont contraints de fermer conformément aux mesures gouvernementales » (USH, communiqué du 15.03.2020).

Au-delà de ces recommandations, le Ministère de l'économie et des finances a invité les entreprises concernées (locataires) à se rapprocher de leurs bailleurs pour effectuer s'il y a lieu des demandes de report à l’amiable du paiement des loyers.

Côté bailleur, en attendant la prochaine ordonnance, il convient d'apprécier au cas par cas, avec pragmatisme, s'il y a lieu de faire suite à pareille demande (côté ADB, dans la positive, régulariser un écrit pour formaliser l'accord locataire/bailleur).

Quid du recours à la notion de « force majeure » ?

Possible mais complexe et incertain.

Pour les entreprises non visées par la mesure spécifique de report ou d’étalement qui a été votée, le preneur à bail reste tenu de régler ses loyers et charges en totalité à la date fixée dans le contrat.

Néanmoins, la notion de « force majeure » qui permet le report ou l’annulation d’une obligation sans pénalité, pourrait selon les cas être invoquée par le preneur à bail qui a vu son activité interdite par décision gouvernementale et n’a donc pas pu exercer son activité et/ou qui a vu son chiffre d’affaire drastiquement baisser et ne peut donc payer à cause de l’épidémie et de ses conséquences.

Dans ce cas, un locataire pourrait solliciter auprès de son bailleur la suspension des loyers et charges pendant la période critique ou, a minima, un report et la mise en place d’un échelonnement du remboursement adapté.

En effet, si l’on revient aux sources, l’article 1218 du Code civil dispose que :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités pas des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.
Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ».

En vertu de ce texte, la force majeure est caractérisée lorsque l’événement survenu était imprévisible, irrésistible et extérieur.

• La condition d’extériorité n’est pas sujet à discussion puisque le preneur du bail n’est pas à l’origine de l’épidémie.

• La condition d’imprévisibilité ne semble pas non plus présenter de difficulté particulière puisque la conclusion du contrat est antérieure à la survenance de l’épidémie et que les parties ne pouvaient la prévoir, en tout cas pas dans ses effets actuels.

• Le critère d’irrésistibilité pose davantage de question. L’article 1218 du Code civil précise que la force majeure est l’événement « dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées » et qui « empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». Pour vérifier si cette condition est validée, d’éminents Confrères distinguent deux situations :

o La première hypothèse est celle dans laquelle un arrêté a interdit l’ouverture d’un local commercial exploité en vertu d’un bail en raison de sa destination.

Dans un tel cas, le bailleur n’est plus en mesure de satisfaire à son obligation de délivrance (Cass. 3e civ. 7-3-2006 n°04-19.639) en raison d’un évènement de force majeure qui aura pour effet de suspendre l’exécution du contrat par les parties.

En conséquence, les entreprises dont l’activité économique est attachée à l’exploitation de leur local commercial (tout le commerce de détail notamment) peuvent – selon nous - suspendre le paiement de leurs loyers à compter du 2e trimestre 2020 (que le loyer soit payable à terme échu ou à échoir) en invoquant la survenance d’un évènement de force majeure et l’exception d’inexécution de l’article 1220 du Code civil. Il est fortement recommandé de notifier cette suspension au bailleur et de se conformer, plus généralement, au processus décrit dans le bail, le cas échéant, en cas de force majeure.

o La seconde hypothèse est la suivante : en raison d’une baisse de son chiffre d’affaires due à la survenance de l’épidémie de coronavirus, le preneur à bail commercial ne peut plus assurer le paiement des loyers. Cette situation est plus délicate pour le preneur puisque le bailleur respecte bien son obligation de délivrance.

À ce titre, la Cour de cassation a notamment jugé que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » (Cass. com. 16-9-2014 n°13-20.306 F-PB : RJDA 11/14 n° 886) ; Dans le même sens, la Cour d’appel de PARIS a retenu que : « Le caractère avéré de l’épidémie qui a frappé l’Afrique de l’Ouest à partir du mois de décembre 2013, même à la considérer comme un cas de force majeure, ne suffit pas à établir ipso facto que la baisse ou l’absence de trésorerie invoquées par la société appelante lui serait imputable, faute d’éléments comptables » (CA Paris 17-3-2016 n°15/04263).

Ainsi, le débiteur doit prouver que l’exécution de l’obligation était rendue impossible en raison de la survenance d’une épidémie et que le critère d’irrésistibilité de la force majeure est caractérisé. Cela n’est pas impossible. Il a notamment été jugé qu’un défaut de paiement était justifié par la survenance d’une épidémie qui a eu des conséquences irrésistibles pour l’exploitation d’un débiteur (CA Bourges 21-5-2010 n°09/01290).

En conclusion, le preneur à bail pourrait être déchargé de son obligation de payer les loyers si ce paiement a été rendu impossible par la survenance de l’épidémie de coronavirus. Au contraire, lorsque l’exécution de son obligation est seulement plus difficile, il ne pourra pas bénéficier de la force majeure et devra solliciter la mise en œuvre d’autres mécanismes.

CONSEIL : Pour les entreprises se trouvant dans une situation de disparition drastique de chiffre d’affaires, il est donc recommandé de notifier à leur bailleur la suspension des loyers sur le fondement de la force majeure, dans le respect du processus décrit, le cas échéant, au bail, en documentant sérieusement sur le plan comptable et financier l’impossibilité (et pas seulement la difficulté) de régler le loyer pendant la période de confinement.

Il est également recommandé, en cas de réception d’un commandement de payer visant la clause résolutoire adressé par le bailleur – mais cela paraît improbable car les huissiers ne délivrent désormais les actes qu’au compte-gouttes – de saisir le juge des référés pour obtenir au minimum et en urgence le report de l’exigibilité du deuxième trimestre 2020 au visa de l’article 1343-5 du Code civil. Rappelons-le en effet, le juge peut non seulement échelonner une dette au visa de cet article mais également la reporter, dans la limite de 24 mois.

Renégocier son contrat, une solution intéressante pour les baux conclus à compter du 1er octobre 2016 :

L’article 1195 du Code civil prévoit que :

Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

Ainsi, les parties peuvent renégocier leur contrat lorsqu’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat survient et rend l’exécution du contrat démesurément onéreuse pour une partie.

En cas d’échec dans la renégociation, les parties peuvent décider de résoudre le contrat ou de soumettre ce contrat au juge, qui procédera à son adaptation.

Cette disposition pourrait parfaitement s’appliquer à l’épidémie de coronavirus mais cela suppose que le bail ait été conclu ou renouvelé postérieurement à l’entrée en vigueur de ce texte, soit à compter du 1er octobre 2016.

Par ailleurs, tant que le juge ne s’est pas prononcé, les parties sont tenues d’appliquer le contrat dans toutes ses dispositions. L’article 1195 du Code civil rappelle en effet que chacune des parties « continue à exécuter ses obligations durant la renégociation ». Les tribunaux étant eux-mêmes fermés (ou presque) en raison du coronavirus, il n’est pas certain que le recours au juge au visa de l’article 1195 constitue la mesure la plus appropriée à ce stade.

Pour aller plus loin et poser vos questions, contactez :

Frédéric CANTON
avocat associé
En charge du Pôle Droit des affaires au sein du Cabinet EMO AVOCATS
fcanton@emo-avocats.com

Elsa LEON
avocat - membre du Pôle Droit des affaires au sein du Cabinet EMO AVOCATS
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LOI NO 2020-290 DU 23 MARS 2020 D’URGENCE POUR FAIRE FACE À L’ÉPIDÉMIE DE COVID-19