UBER, la Cour de cassation reconnait à un chauffeur de la plateforme le statut de salarié. Explication.

UBER, la Cour de cassation reconnait à un chauffeur de la plateforme le statut de salarié. Explication.

Dans son Arrêt n°374 du 4 mars 2020 (19-13.316), la Chambre sociale de la Cour de cassation juge au visa de l’article L. 8221-6 du code du travail que le statut de travailleur indépendant employé comme chauffeur de la société UBER VB était fictif en raison de l’existence d’un lien de subordination entre les deux.

Parmi les circonstances qu’elle relève, la Cour retient en particulier que, loin de décider librement de l’organisation de son activité, de rechercher une clientèle ou de choisir ses fournisseurs, le chauffeur avait ainsi intégré un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par ladite société, qui n’existe que grâce à sa plateforme, service de transport à travers l’utilisation duquel il ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport, qui sont entièrement régis par la société UBER BV.

Cet arrêt (dont copie est accessible via le lien ci-dessous) est le second que la chambre sociale de la Cour de cassation rend au sujet des travailleurs des plateformes.

Son premier arrêt avait été prononcé dans l’affaire Take Eat Easy (Cassation Sociale, 28 novembre 2018, pourvoi n°17-20.079).

Dans cette seconde espèce, il s’agissait d’un chauffeur qui, après la clôture définitive de son compte par la société UBER BV, avait saisi le conseil de prud’homme d’une demande de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail.

La cour d’appel qui avait infirmé la décision de première instance avait jugé que le « contrat de partenariat » signé par le chauffeur et la société UBER BV s’analysait en un contrat de travail.

L’affaire avait été renvoyée au conseil de prud’hommes afin qu’il statue au fond sur les différentes demandes présentées par le chauffeur : au titre de rappel d’indemnités, de rappel de salaires, de dommages-intérêts pour non-respect des durées maximales de travail, de travail dissimulé et au titre d’un licenciement qu’il estimait sans cause réelle et sérieuse.

On rappellera que, selon une jurisprudence constante, l’existence d’une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont données à leur convention.

Elles dépendent en réalité des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle (Cassation Sociale, 17 avril 1991, pourvoi n° 88-40.121 ; Cassation Sociale, 19 décembre 2000, pourvoi n° 98-40.572 ; Cassation Sociale, 9 mai 2001, pourvoi n° 98-46.158).

Il faut savoir que, déjà, dans l’arrêt Take Eat Easy, la Cour de cassation en avait déduit que les dispositions de l’article L. 8221-6 du code du travail selon lesquelles les personnes physiques, dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation sur les registres ou répertoires que ce texte énumère, sont présumées ne pas être liées avec le donneur d’ordre par un contrat de travail, n’établissent qu’une présomption simple qui peut être renversée lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard du donneur d’ordre. Cette solution est réitérée dans l’arrêt Uber du 4 mars 2020.

En ce qui concerne le critère du travail salarié, la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation est fixée depuis un arrêt du 13 novembre 1996 (pourvoi n° 94-13.187) selon lequel “le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.”

En l’espèce, dans l’arrêt de ce 4 mars 2020, la Cour de cassation a estimé qu’il n’était pas possible de s’écarter de cette définition désormais traditionnelle et a refusé d’adopter le critère de la dépendance économique suggéré par certains auteurs.

En effet, d’une part la Cour de justice de l’Union européenne, tant sur le terrain de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail que sur celui de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, décide que la notion de travailleur visée dans ces deux textes communautaires est une notion autonome, c’est-à-dire défini par le droit de l’Union européenne lui-même et non pas renvoyée pour sa définition au droit interne de chaque Etat membre (v. notamment CJUE, 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère, C-428/09 ; CJUE, 7 avril 2011, Dieter May, C-519/09 ; CJUE, 26 mars 2015, Fenoll, C-316/13 ; voir par ailleurs l’article 3 de la directive 89/391 précitée).

Or, la définition donnée du travailleur par la Cour de justice est semblable à celle de la chambre sociale depuis l’arrêt Société générale, c’est-à-dire le critère du lien de subordination (CJUE, arrêt Fenoll).

D’autre part, dans sa décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019 par laquelle le Conseil constitutionnel a censuré en partie l’article 44 de la loi d’orientation des mobilités en ce qu’il écartait le pouvoir de requalification par le juge de la relation de travail d’un travailleur de plate-forme en contrat de travail, le Conseil constitutionnel s’est référé à de multiples reprises au critère de l’état de subordination juridique (voir les points 25 et 28).

Sans modifier en quoi que ce soit la jurisprudence établie depuis l’arrêt de 1996, la Cour de cassation a approuvé la cour d’appel d’avoir requalifié la relation de travail d’un chauffeur de VTC avec la société UBER BV en contrat de travail.

Le critère du lien de subordination se décompose effectivement en trois éléments :
- le pouvoir de donner des instructions ;
- le pouvoir d’en contrôler l’exécution ;
- le pouvoir de sanctionner le non-respect des instructions données.

Quant au travail indépendant, il se caractérise par les éléments suivants : la possibilité de se constituer une clientèle propre, la liberté de fixer ses tarifs, la liberté de fixer les conditions d’exécution de la prestation de service.

Or, selon la Cour de cassation, la cour d’appel a notamment constaté :

1°) que ce chauffeur a intégré un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par cette société, service qui n’existe que grâce à cette plate-forme, à travers l’utilisation duquel il ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport ;

2°) que le chauffeur se voit imposer un itinéraire particulier dont il n’a pas le libre choix et pour lequel des corrections tarifaires sont appliquées si le chauffeur ne suit pas cet itinéraire ;

3°) que la destination finale de la course n’est parfois pas connue du chauffeur, lequel ne peut réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui lui convient ou non ;

4°) que la société a la faculté de déconnecter temporairement le chauffeur de son application à partir de trois refus de courses et que le chauffeur peut perdre l’accès à son compte en cas de dépassement d’un taux d’annulation de commandes ou de signalements de "comportements problématiques".

La Cour de cassation a donc approuvé les juges de la cour d’appel d’avoir déduit de l’ensemble de ces éléments l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements et d’avoir jugé que, dès lors, le statut de travailleur indépendant du chauffeur était fictif.

L’existence en l’espèce d’un lien de subordination lors des connexions du chauffeur de VTC à l’application UBER est ainsi reconnue, la Cour de cassation ayant exclu de prendre en considération le fait que le chauffeur n’a aucune obligation de connexion et qu’aucune sanction n’existe en cas d’absence de connexions quel qu’en soit la durée (à la différence de ce qui existait dans l’application Take Eat Easy).

Bien sûr, cet arrêt est l’affirmation d’un principe qui pourrait bien faire jurisprudence et donner lieu à de multiples réclamations de la part des chauffeurs de ce type de plateforme qui traduirait un lien de subordination, l’objectif étant de se faire reconnaître un statut de salarié avec tous les attributs qui s’y attachent.

Mais on ajoutera aussi que, par cet arrêt, la Cour de cassation comble finalement un certain vide juridique.

Ces travailleurs qu'ils soient au volant d'un véhicule automobile, au guidon d'un scooter ou d'un vélo se trouvent dans un environnement où il n'y a pas d'encadrement juridique approprié. Pour certains, le statut du salariat sera souhaité ; mais, pour d'autres, il ne le sera pas, préférent une certaine souplesse dans ce modèle économique.

La Cour de cassation adopte ici une définition du contrat de travail assez classique à des situations qui sont nouvelles dans un monde économique innovant.

De toute évidence, cette situation juridique incertaine devrait inciter le législateur à faire évoluer la réglementation.

Se saisira-t-il de la question ?

Pour tout renseignement, contactez :

Emmanuelle Dugue-Chauvin
Avocat associé spécialiste en droit social
echauvin@emo-avocats.com

ARRÊT N°374 DU 4 MARS 2020 (19-13.316) - COUR DE CASSATION - CHAMBRE SOCIALE