Selon la loi, la possibilité d’obtenir la réparation effective de ses préjudices par le Fonds de Garantie des Victimes d’Infractions dépend de la durée de son incapacité totale de travail (ITT). Une victime peut obtenir de plein droit une indemnisation si l’incapacité a été égale ou supérieure à un mois. A moins de 30 jours, ce droit est soumis à condition de ressources. Sans ITT, elle n’a pas droit à réparation.
Dans un arrêt du 5 mars 2020, la Cour de cassation vient atténuer la rigueur de ces dispositions légales appliquées selon la qualification retenue dans la prévention (l’acte de poursuite à l’encontre de l’auteur de l’infraction), et ce en tenant compte d’un principe de réalité : la durée effective de l’incapacité subie par la victime selon les pièces médicales qu’elle produit.
L’arrêt n°285 du 5 mars 2020 (Pourvoi n°19-12.720) rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est une avancée majeure dans le droit à réparation des victimes d’infraction.
Que dit la loi ?
La loi du 23 mars 2019 (dite « Loi Justice ») a peu modifié les textes relatifs au recours en indemnité ouvert à certaines victimes de dommages résultant d'une infraction (prévu aux articles 706-3 et suivant du Code de procédure pénale).
Historiquement, c’est Robert Badinter, Garde des Sceaux, qui avait constitué en 1981 une commission d'études et de propositions sur le sujet du suivi de la victime. Le rapport de cette commission dont la présidence avait confiée au professeur Paul Milliez, cardiologue, avait formulé entre autres la proposition de soutenir la création d'un réseau associatif d'aide aux victimes.
En 1982, un bureau de la protection des victimes et de la prévention avait ainsi été créé au sein du ministère de la Justice.
Et parallèlement à la création de l’INAVEM, présidée par Claude Lienhard, avocat, fut institué le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et réparation intégrale des préjudices des victimes par la Loi du 9 septembre 1986.
C’est la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI) qui doit être saisie des demandes indemnitaires des victimes et qui, si aucun accord entre elle et le Fonds ne peut être trouve dans les délais légaux, met à la charge du Fonds une certaine somme d’argent qui peut couvrir l’intégralité des préjudices corporels et matériels subis par la victime (cela peut représenter jusqu’à plusieurs dizaines ou centaines de milliers d’euros dans les cas les plus graves).
Si, dans les premiers temps, ce Fonds était destiné à permettre aux victimes d'actes de terrorisme d’obtenir la réparation intégrale des préjudices qu’elles avaient subies « au titre de la solidarité nationale », dans la mesure où le ou les auteurs de ces actes étaient décédés, non identifiables ou insolvables, le législateur a décidé au fur et à mesure des années d’étendre, toujours pour des considérations de solidarité nationale, le droit à réparation pour les victimes d’infractions de droit commun les plus graves, telles les actes d’agressions sexuelles, l’esclavage et la traite des êtres humains, la mise en péril de mineurs, ainsi que les agressions physiques ayant entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois.
Ce dispositif permet ainsi à toute personne, y compris tout agent public ou tout militaire, ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction d’obtenir, devant la CIVI, la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à sa personne (ou à ses proches, notamment s’il s’agit d’un mineur), lorsque sont réunies les conditions prévues à l’article 706-3 du Code de procédure pénale.
D’abord, il faut que ces atteintes n'entrent pas dans le champ d'application d’un autre dispositif d’indemnisation prévu par la loi (par exemple, s’agissant des victimes d'accidents de la circulation qui bénéficient d’un dispositif institué par la Loi Badinter du 5 juillet 1985 auprès des Compagnies d’assurances ou du Fonds de Garantie Automobile notamment).
Ensuite, la personne lésée doit être de nationalité française ou bien les faits doivent avoir été commis sur le territoire national.
Enfin, les faits qui ont le caractère matériel d'une infraction doivent :
Soit, figurer dans la liste des qualifications pénales prévues par la loi (selon les articles 222-22 à 222-30, 224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-5, 225-5 à 225-10, 225-14-1 et 225-14-2 et 227-25 à 227-27 du code pénal) ;
Soit, avoir entrainé des préjudices corporels graves la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois.
A défaut, il faudra justifier de conditions de ressources selon les critères prévues à l’article 706-14 du Code de procédure pénale qui dispose que « Toute personne qui, victime d'un vol, d'une escroquerie, d'un abus de confiance, d'une extorsion de fonds ou d'une destruction, d'une dégradation ou d'une détérioration d'un bien lui appartenant, ne peut obtenir à un titre quelconque une réparation ou une indemnisation effective et suffisante de son préjudice, et se trouve de ce fait dans une situation matérielle ou psychologique grave, peut obtenir une indemnité dans les conditions prévues par les articles 706-3 (3° et dernier alinéa) à 706-12, lorsque ses ressources sont inférieures au plafond prévu par l'article 4 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique pour bénéficier de l'aide juridictionnelle partielle, compte tenu, le cas échéant, de ses charges de famille ».
On précisera que l'indemnité est au maximum égale au triple du montant mensuel de ce plafond de ressources (soit 4.693 €), les ressources ne devant pas dépasser certains plafonds : 1.564 € pour une victime vivant seule, 1.846 € si elle a une personne à charge, 2.128 € si elle a deux personnes à charges, etc…
On comprend qu’en cas d’agression physique ayant entrainé une incapacité totale de travail, l’enjeu de la durée de l’ITT est important puisque, de cette durée, dépend le droit d’obtenir réparation intégrale de son préjudice ou un droit d’en obtenir une réparation partielle (limitée à 4.693 €) et ce, sous condition de ressources.
Cet enjeu était précisément au cœur du débat dans l’affaire pour laquelle la Cour de cassation s’est prononcée dans son arrêt du 5 mars 2020 (v. le lien vers l'arrêt, ci-dessous).
Quel est l'apport de l'arrêt du 5 mars 2020 ?
Dans cette affaire, le 21 août 2013, la victime avait été agressée à son domicile par un inconnu.
Le 7 février 2014, un tribunal correctionnel déclarait l’auteur des faits coupable, notamment, de violences avec arme ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) inférieure à huit jours, en l’occurrence cinq jours.
La victime avait été reçu en sa constitution de partie civile ; le prévenu avait été déclaré responsable de son préjudice : et l’affaire avait renvoyée à une audience sur intérêts civils pour que la victime affine le montant de ses réclamations après expertise médicale, puisque son état de santé n’était pas consolidé.
Par jugement du 28 juillet 2016, le tribunal correctionnel, statuant sur la seule action civile au vu d’une expertise médicale, dont il ressortait que la victime, après avoir repris le travail le 2 septembre 2013, avait de nouveau été arrêté, en raison d’un syndrome post-traumatique sévère, du 28 septembre 2013 au 10 août 2015, date de consolidation de son état, a condamné le prévenu à lui verser une certaine somme de plusieurs milliers d’euros en réparation de son préjudice corporel.
Le 4 octobre 2016, la victime saisissait la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI) aux fins de réparation de son préjudice.
L’affaire avait été portée devant la Cour d’appel de Nancy.
Or, les juges déclarèrent irrecevable la demande d’indemnisation de la victime.
Après avoir rappelé, d’une part, que, selon l’article 706-3 du code de procédure pénale, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non, qui présentent le caractère matériel d’une infraction, peut obtenir la réparation intégrale des dommages résultant des atteintes à la personne, lorsque, notamment, ces faits ont entraîné une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois, et, d’autre part, que les décisions pénales ont au civil l’autorité absolue de la chose jugée en ce qui concerne la qualification du fait incriminé, les juges relevèrent que, en l’espèce, le tribunal correctionnel avait déclaré le prévenu coupable de faits de violences avec arme sur la personne de la victime, suivies d’une ITT inférieure à huit jours, en l’occurrence cinq jours.
Selon les juges, une telle qualification du fait de l’ITT inférieure à huit jours ne permettait pas l’application de l’article 706-3, en sorte que la victime avait été déboutée de son droit à réparation.
La Cour de cassation censure cette interprétation qui avaient été donnée par la Cour d’appel de Nancy dans un arrêt du 15 mars 2018.
En effet, au visa des articles 1355 du code civil, 4 et 706-3 du code de procédure pénale, la Cour de cassation rappelle que « l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ne s’étend qu’à ce qui a été nécessairement décidé par le juge répressif quant à l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, à sa qualification et à l’innocence ou la culpabilité de celui à qui le fait est imputé ».
La victime avait fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Nancy de déclarer irrecevable sa demande d’indemnisation, alors « que l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements nouveaux sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; qu’en l’espèce, après avoir reconnu le prévenu coupable des faits de (...) violences avec usage ou menace d’une arme suivie d’une incapacité n’excédant pas huit jours (...) par un jugement du 7 février 2014, le tribunal correctionnel a ordonné une expertise médicale (...), puis par un jugement du 28 juillet 2016 statuant sur les intérêts civils, adopté les conclusions de l’expert quant à l’existence d’un syndrome post-traumatique sévère et d’une incapacité totale professionnelle corrélative du 21 août 2013 au 10 août 2015 ; qu’en opposant l’autorité de la chose jugée du jugement du 7 février 2014 retenant une incapacité totale inférieure à huit jours pour déclarer la demande d’indemnisation fondée sur l’article 706-3 du code de procédure pénale irrecevable, sans rechercher si, dans son jugement du 28 juillet 2016, le juge répressif n’avait pas ensuite retenu une incapacité totale professionnelle répondant aux prescriptions de ce texte en se fondant sur des événements nouveaux, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 706-3 du code de procédure pénale ».
La Cour de cassation approuve ce moyen.
Elle décide en effet, en se déterminant comme elle l’a fait, alors que l’autorité de chose jugée, attachée au jugement déclarant l’auteur des faits, dont M. X... a été victime, coupable de violences avec arme ayant entraîné une ITT inférieure à huit jours, ne faisait pas obstacle à ce qu’il fût jugé que ces faits délictueux avaient entraîné, pour la victime, une incapacité totale de travail personnel, au sens de l’article 706-3 du code de procédure pénale, supérieure à l’ITT retenue par le juge répressif pour l’application du texte pénal d’incrimination, et qu’il lui appartenait, dès lors, de rechercher si l’incapacité totale de travail personnel subie par la victime était égale ou supérieure à un mois, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.
Ainsi, elle casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 mars 2018, par la cour d’appel de Nancy, remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Colmar.
En conclusion, la Cour de cassation a préféré retenir la réalité de la durée de l’incapacité totale de travail subie par la victime, pour lui permettre d’obtenir droit à réparation, plutôt que de s’en tenir à la qualification pénale des faits délictueux retenu au début de cette affaire dans la prévention qui avait donné au jugement de culpabilité rendu contre le prévenu.
Cette décision de la Cour de cassation va dans le sens du droit à réparation des victimes.
Elle est des plus heureuses car la loi, sur ce point, était limitative et sujette à discussion.
Le législateur serait bien inspiré de consacrer cette jurisprudence de la Cour de cassation en l’intégrant dans le dispositif des articles 706-3 et suivant du Code de procédure pénale.
Pour tout renseignement et préparer le dépôt de vos requêtes en indemnisation devant la Commission d’indemnisation des Victimes d’Infraction, contactez :
Arnaud de SAINT REMY
Avocat Associé – Ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats
Ancien président de la Conférence Régionale des Bâtonniers de Normandie
Chargé du Pôle pénal, Presse, Média & Internet au Cabinet EMO AVOCATS
adestremy@emo-avocats.com
ARRÊT N°285 DU 5 MARS 2020 (19-12.720) - COUR DE CASSATION - DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE