Procédure pénale : la personne civilement responsable peut obtenir le remboursement de ses frais de défense lorsqu’elle est mise hors de cause lors d’un procès pénal

Procédure pénale : la personne civilement responsable peut obtenir le remboursement de ses frais de défense lorsqu’elle est mise hors de cause lors d’un procès pénal

C’est une disposition méconnue du Code de procédure pénale qui vient d’être censurée par le Conseil constitutionnel comme portant atteinte à l'équilibre du droit des parties dans le procès pénal.

L’article 800-2 du Code de procédure pénale dispose notamment qu’à la demande de l'intéressé, toute juridiction prononçant un non-lieu, une relaxe, un acquittement ou toute décision autre qu'une condamnation ou une déclaration d'irresponsabilité pénale peut accorder à la personne poursuivie pénalement ou civilement responsable une indemnité qu'elle détermine au titre des frais non payés par l'État et exposés par celle-ci.

Cette indemnité, précise l’alinéa 2 de ce texte, est à la charge de l'État. La juridiction peut toutefois ordonner qu'elle soit mise à la charge de la partie civile lorsque l'action publique a été mise en mouvement par cette dernière.

D’après ce texte et la jurisprudence qui en fait occasionnellement application (mais il faut avouer qu’il est rarement invoqué devant les tribunaux…), les frais en question sont les frais de défense non tarifs (frais irrépétibles) qui sont exposés par le prévenu ou le civilement responsable, en clair notamment les honoraires d’avocats, les frais de constat d’huissier, les frais de déplacement, etc…

On sait que le prévenu ou le civilement responsable ne peuvent jamais invoquer les dispositions de l’article 375 ou de l’article 475-1 du Code de procédure pénale qui ne bénéficient qu’à la partie civile dont les droits de victime sont reconnus.

On sait aussi que seul le prévenu peut invoquer les dispositions de l’article 472 du même Code mais uniquement lorsque la partie civile a elle-même mis en mouvement l'action publique et que le tribunal accorde au prévenu des dommages-intérêts s’il le relaxe et juge abusive la constitution de partie civile du (ou de la) plaignant(e).

Or, dans sa rédaction, l’article 800-2 du Code de procédure pénale ne bénéficie au prévenu ou au civilement responsable qu’en cas de non-lieu, relaxe, acquittement ou toute décision autre qu'une condamnation ou une déclaration d'irresponsabilité pénale (par exemple, en cas de nullité de procédure).

Dès lors, il pouvait y avoir un vide juridique lorsque le civilement responsable était mis hors de cause alors même que le prévenu était condamné.

C’est cette situation qui a été examinée par le Conseil constitutionnel.

Dans cette espèce, les sociétés civilement responsables du prévenu avaient été poursuivies devant le juge pénal en même temps que ce dernier.

Or, si le prévenu avait été condamné, les juges du fond avaient mis hors de cause les civilement responsables, sans pour autant leur accorder d’indemnité pour leurs frais de défense.

A leurs yeux, elles avaient été injustement attraites en justice et elles estimaient qu’elles auraient pu obtenir un dédommagement pour leurs frais irrépétibles.

Les sociétés requérantes soutenaient qu’en effet, les dispositions de l’article 800-2 du Code de procédure pénale méconnaissaient le principe d'égalité devant la justice en ce qu'elles privent la personne citée devant une juridiction pénale en qualité de civilement responsable, si elle a finalement été mise hors de cause, de la faculté d'obtenir le remboursement des frais « irrépétibles » alors même lorsque la personne poursuivie pénalement a été condamnée.

Il en résultait une atteinte à l'équilibre des droits entre les parties au procès pénal dans la mesure où la partie civile a, elle, toujours la possibilité de réclamer à la personne reconnue civilement responsable le remboursement de ses frais irrépétibles en cas de condamnation de cette dernière (selon les articles 375 ou 475-1 du Code de procédure pénale).

Exerçant un pourvoi en cassation, les sociétés requérantes avaient posé une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) à la Chambre criminelle saisie de leur recours.

La Cour de cassation l’avait jugée suffisamment pertinente puisque, par un arrêt du 15 janvier 2019 (n° de pourvoi 18-90.031 - ECLI:FR:CCASS:2019:CR00081), elle avait elle-même saisi le Conseil constitutionnel.

Elle avait jugé que la question posée portant sur l’aliéna 1er de l’article 800-2 du code de procédure pénale présentait un caractère sérieux en ce qu’effectivement, l’impossibilité, pour une personne citée comme civilement responsable devant la juridiction pénale, d’obtenir une indemnité au titre des frais exposés pour sa défense dans le cas où elle serait mise hors de cause alors que la personne poursuivie ferait l’objet d’une condamnation, est de nature à porter atteinte à l’équilibre des droits des parties dans le procès pénal.

Dans sa décision n° 2019-773 QPC du 5 avril 2019 (v. le lien, ci-après), le Conseil constitutionnel juge, au visa de l’article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et des principes des droits de la défense impliquant en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties, que, lorsque la personne poursuivie a été condamnée, ni ces dispositions ni aucune autre ne permettent à la personne citée comme civilement responsable d'obtenir devant la juridiction pénale le remboursement de tels frais, alors même qu'elle a été mise hors de cause.

Dans ces conditions, les dispositions du premier alinéa de l'article 800-2 du code de procédure pénale portent atteinte à l'équilibre du droit des parties dans le procès pénal.

Par conséquent, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution.

Toutefois, le Conseil constitutionnel va limiter les effets de l’inconstitutionnalité.

Fort heureusement !

Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution, une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision.

Mais, le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause.

Il rappelle au passage que la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la QPC et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours.

Or, le Conseil constitutionnel considère que l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de supprimer le droit reconnu à la personne poursuivie et à la personne civilement responsable de se voir accorder des frais irrépétibles en cas de non-lieu, de relaxe, d'acquittement ou de toute décision autre qu'une condamnation ou une déclaration d'irresponsabilité pénale.

Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives.

Par suite, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, le Conseil constitutionnel décide de reporter au 31 mars 2020 la date de l'abrogation des dispositions contestées.

Et il ajoute :

« Afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger, pour les décisions rendues par les juridictions pénales après cette date, que les dispositions du premier alinéa de l'article 800-2 du code de procédure pénale doivent être interprétées comme permettant aussi à une juridiction pénale prononçant une condamnation ou une décision de renvoi devant une juridiction de jugement, d'accorder à la personne citée comme civilement responsable, mais mise hors de cause, une indemnité au titre des frais non payés par l'État et exposés par celle-ci ».

Le Conseil constitutionnel fait ici (à nouveau) usage d’un pouvoir qu’il avait déjà mis en vigueur avant la réforme de la garde-à-vue permettant l’assistance effective de l’avocat aux côtés de la personne mise en cause.

En conclusion, l'inconstitutionnalité ainsi jugée dans sa décision n° 2019-773 QPC du 5 avril 2019 doit donc inciter les juges du fond à faire droit, dès maintenant, dans les procès en cours, aux demandes des personnes civilement responsables mises hors de cause tendant à obtenir une indemnité au titre de leurs frais de défense.

Ainsi, le Conseil constitutionnel comble-t-il une lacune de notre Code de procédure pénale qui aurait pu d’ailleurs être corrigée dans la Loi Justice (ce qu’elle n’a pas fait !...).

Et, une fois encore, le regard du Conseil constitutionnel est hautement précieux pour inciter le législateur à mieux assurer l’accès au droit et à la justice, en particulier les droits de la défense.

Pour tout renseignement, contactez l'avocat du cabine EMO AVOCATS en charge du pôle pénal :

Arnaud de SAINT REMY
Avocat Associé – Ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats
Ancien président de la Conférence Régionale des Bâtonniers de Normandie
Membre du Conseil de l’Ordre des avocats au barreau de Rouen
https://www.linkedin.com/in/arnaud-de-saint-remy-a65582122/

DÉCISION N° 2019-773 QPC DU 5 AVRIL 2019