Dans un arrêt du 26 mars 2019 (18-84.900), la Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle sa jurisprudence sur la notion de « marge d’erreur technique ».
Elle applique ce principe à une infraction de conduite sous l’empire d’un état alcoolique.
Dans cette affaire, le conducteur d’un véhicule avait fait l’objet, à la suite d’un dépistage de son alcoolémie qui s’était révélée positive, des vérifications permettant d’établir la quantité d’alcool qu’il avait consommé.
Comme d’usage, ces vérifications avaient été faites au moyen d’un éthylomètre en deux fois.
L’appareil avait mesuré des taux successifs de 0,43 mg/l puis 0,40 mg/l d’alcool dans l’air expiré.
Il avait été déclaré coupable du délit de conduite sous l’empire d’un état alcoolique par le tribunal correctionnel.
Ce conducteur avait relevé appel du jugement.
Les juges d’appel confirment sa condamnation.
Or, la Cour de cassation va casser l’arrêt pour deux motifs intéressants :
- Le premier tient à l’insuffisance des motifs retenus par les juges d’appel ;
- Le second tient à la notion de « marge d’erreur ».
D’une part, au visa de l’article 593 du code de procédure pénale, la Cour de cassation rappelle que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties et que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence, ce qui justifie la cassation.
Or, en l’espèce, la Cour de cassation relève que, pour écarter le moyen tiré du défaut de fiabilité de l’éthylomètre résultant de l’absence de mention de l’organisme ayant procédé à la vérification périodique, l’arrêt d’appel énonce qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’impose, à peine de nullité, que le nom dudit organisme figure au procès-verbal.
La Cour de cassation qu’en se déterminant ainsi, alors qu’il lui appartenait de rechercher l’organisme ayant effectué la vérification de l’appareil et de soumettre cet élément au débat contradictoire entre les parties sur la preuve, les juges d’appel n’ont pas justifié leur décision.
D’autre part, la Cour de cassation va rappeler, au visa de l’article 15 de l’arrêté du 8 juillet 2003 relatif au contrôle des éthylomètres, qu’elle juge régulièrement que les marges d’erreur prévues par ce texte peuvent s’appliquer à une mesure effectuée lors d’un contrôle d’alcoolémie.
Elle précise bien sûr que l’interprétation des mesures de la concentration d’alcool dans l’air expiré effectuées au moyen d’un éthylomètre constitue pour le juge une faculté et non une obligation (voir, l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 24 juin 2009, pourvoi n°09-81.119 publié au Bulletin criminel 2009, n°134).
Elle ajoute un commentaire intéressant : une diversité d’appréciation entre les juges du fond relativement à la prise en compte ou non de ces marges d’erreur résulte de cette situation juridique, mais il faut considérer que cela n’est pas conforme aux dispositions de l’alinéa 3 du I. de l’article préliminaire du code de procédure pénale aux termes duquel les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles.
La Cour de cassation relève donc une incertitude juridique.
Elle ajoute encore que le Conseil d’Etat a récemment jugé qu’il appartient au représentant de l’Etat prononçant une suspension du permis de conduire en application de l’article L. 224-2 du code de route de s’assurer que les seuils prévus par l’article L. 234-1 du même code ont été effectivement dépassés et donc, par conséquent, de prendre en compte la marge d’erreur maximale tolérée (voir en ce sens l’arrêt du Conseil d’Etat du 14 février 2018, n° 407914).
La Cour de cassation déduit ainsi de l’article 15 de l’arrêté du 8 juillet 2003 que, lorsqu’il est saisi d’une infraction pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique, le juge doit vérifier que, dans le procès-verbal fondant la poursuite, il a été tenu compte, pour interpréter la mesure du taux d’alcool effectuée au moyen d’un éthylomètre, des marges d’erreur maximales prévues par ce texte.
Or, en l’espèce, pour écarter le moyen tendant à la requalification du délit de conduite sous l’empire d’un état alcoolique en une contravention au sens de l’article R.234-1 (2°) du code de la route, l’arrêt d’appel énonce que l’argument tenant à la marge d’erreur est inopérant, deux taux supérieurs ou égaux à la limite légale ayant été relevés, à quinze minutes d’intervalle, sur un individu ayant reconnu avoir consommé, une heure avant le contrôle routier, deux verres de bière.
La Cour de cassation estime qu’en se déterminant ainsi, alors que seule ladite contravention pouvait être caractérisée, quel que soit le taux retenu et compte tenu de la marge d’erreur réglementaire de 8 % de la valeur mesurée pour les concentrations égales ou supérieures à 0,400 mg/l, les juges d’appel ont méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.
Elle prononce ainsi la Cassation.
Ce qu’il faut donc retenir c’est que :
- D’une part, les juges doivent correctement motiver leur décision ;
- D’autre part, ils doivent toujours tenir compte d’une "marge d’erreur technique", même en matière d’alcoolémie au volant.
Ainsi, l’erreur n’est donc pas qu’humaine !... Elle peut être technique.
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Arnaud de SAINT REMY
Avocat Associé – Ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats
Ancien président de la Conférence Régionale des Bâtonniers de Normandie
Membre du Conseil de l’Ordre des avocats au barreau de Rouen
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