Le Conseil constitutionnel censure certaines dispositions, principalement de nature pénale, de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice

Le Conseil constitutionnel censure certaines dispositions, principalement de nature pénale, de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice

Par sa décision n°2019-778 DC du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la loi de programmation et de réforme pour la justice, dont il avait été saisi par quatre recours parlementaires.

La loi dont il était saisi comptait dans sa version définitive 109 articles, alors que le projet de loi initial en comportait 56. Outre la procédure d'adoption de la loi, 57 des articles étaient contestés par les auteurs des quatre recours. La décision de ce jour, qui est la plus longue jamais rendue par le Conseil constitutionnel, compte 395 paragraphes.

Sur le volet civil de la loi :

* Le Conseil constitutionnel a notamment validé :

- l'article 3 de la loi déférée, visant à développer les modes de règlement alternatifs des différends, en subordonnant à une tentative de règlement amiable préalable la recevabilité de certaines demandes en matière civile. Le législateur a prévu que la condition de recevabilité nouvellement instaurée n'est pas opposable lorsque l'absence de recours à l'un des modes de résolution amiable est justifiée par un motif légitime. Au titre d'un tel motif, il a expressément prévu l'indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable.

Le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur, qui a entendu réduire le nombre des litiges soumis au juge, a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice. Il a toutefois assorti la validation de cet article d'une réserve d'interprétation selon laquelle, s'agissant d'une condition de recevabilité d'un recours contentieux, il appartiendra au pouvoir réglementaire de définir la notion de « motif légitime » et de préciser le « délai raisonnable » d'indisponibilité du conciliateur de justice à partir duquel le justiciable est recevable à saisir la juridiction, notamment dans le cas où le litige présente un caractère urgent.

- la plupart des dispositions de l'article 33, modifiant les règles de publicité des décisions de justice, en matière administrative et judiciaire.

Le Conseil constitutionnel a jugé, notamment, que, en prévoyant que les données d'identité des magistrats et des membres du greffe figurant dans les décisions de justice mises à disposition du public par voie électronique ne peuvent faire l'objet d'une réutilisation ayant pour objet ou pour effet d'évaluer, d'analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées, le législateur a entendu éviter qu'une telle réutilisation permette, par des traitements de données à caractère personnel, de réaliser un profilage des professionnels de justice à partir des décisions rendues, pouvant conduire à des pressions ou des stratégies de choix de juridiction de nature à altérer le fonctionnement de la justice. Ces dispositions n'instaurent ainsi aucune distinction injustifiée entre les justiciables et ne portent pas d'atteinte contraire au droit à une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties.

Le Conseil constitutionnel a par ailleurs, pour la première fois, déduit des articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789 un principe de publicité des audiences devant les juridictions civiles et administratives. Il juge qu'il est loisible au législateur d'apporter à ce principe des limitations liées à des exigences constitutionnelles, justifiées par l'intérêt général ou tenant à la nature de l'instance ou aux spécificités de la procédure, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

Au cas présent, si le législateur a prévu, en matière gracieuse et dans les matières relatives à l'état et à la capacité des personnes ou intéressant la vie privée déterminées par décret, que les débats ont lieu en chambre du conseil et que les jugements ne sont pas prononcés publiquement, sans que le juge ne dispose d'un pouvoir d'appréciation sur l'un ou l'autre de ces points, il n'en résulte, compte tenu de la nature des matières en cause ou des enjeux particuliers qu'elles présentent au regard de l'intimité et de la vie privée des personnes, aucune méconnaissance du principe de publicité des audiences ni d'aucune autre exigence constitutionnelle.

Le Conseil constitutionnel censure toutefois le 2° du paragraphe V de l'article 33, selon lequel, lorsque les débats ont eu lieu en chambre du conseil pour des motifs tenant à un risque d'atteinte à l'intimité de la vie privée, à une demande de toutes les parties ou à des désordres de nature à troubler la sérénité de la justice, les tiers sont privés de plein droit de la communication de l'intégralité du jugement, dont la copie est alors limitée au dispositif. Il juge que, en raison de sa généralité et de son caractère obligatoire, cette restriction apportée par les dispositions contestées n'est pas limitée aux cas où elle serait justifiée, notamment, par la protection du droit au respect de la vie privée. Dès lors, ces dispositions méconnaissent les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789.

* En revanche, le Conseil constitutionnel a censuré l'article 7 de la loi, visant à confier aux caisses d'allocations familiales, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, la délivrance de titres exécutoires portant sur la modification du montant d'une contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants.

Il a relevé que ces caisses sont des personnes privées en charge d'une mission de service public. Or, les dispositions contestées leur donnent compétence pour réviser le montant des contributions à l'entretien et à l'éducation des enfants qui ont fait l'objet d'une fixation par l'autorité judiciaire ou d'une convention homologuée par elle. De plus, en application du code de la sécurité sociale, elles sont tenues de verser l'allocation de soutien familial en cas de défaillance du parent débiteur de la contribution pour l'entretien et l'éducation des enfants et peuvent être ainsi intéressées à la détermination du montant des contributions.
Pour ces raisons, et alors même que les décisions de révision prises par les caisses pourraient faire l'objet d'un recours devant le juge aux affaires familiales, le Conseil constitutionnel juge que législateur a autorisé une personne privée en charge d'un service public à modifier des décisions judiciaires sans assortir ce pouvoir de garanties suffisantes au regard des exigences d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789.

Sur le volet pénal de la loi :

* S'il a validé diverses mesures de réforme de la procédure pénale, au nombre desquelles figurent notamment l'article 69 créant un parquet national antiterroriste, l'article 74 modifiant les conditions du prononcé des peines d'emprisonnement ferme ou l'article 93 habilitant le Gouvernement à réformer par voie d'ordonnance la justice pénale des mineurs, le Conseil constitutionnel a censuré d'autres articles du volet pénal de la loi.

- Il a censuré notamment les paragraphes II, III et IV de l'article 44 modifiant les conditions dans lesquelles il peut être recouru, dans le cadre d'une enquête ou d'une information judiciaire, à des interceptions de correspondances émises par la voie de communications électroniques.

Le Conseil constitutionnel a rappelé que, si le législateur peut prévoir des mesures d'investigation spéciales en vue de constater des crimes et délits d'une gravité et d'une complexité particulières, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs, c'est sous réserve, d'une part, que les restrictions qu'elles apportent aux droits constitutionnellement garantis soient proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises et n'introduisent pas de discriminations injustifiées et, d'autre part, que ces mesures soient conduites dans le respect des prérogatives de l'autorité judiciaire, à qui il incombe en particulier de garantir que leur mise en œuvre soit nécessaire à la manifestation de la vérité.

Dans ce cadre, il relève que le législateur a autorisé le recours à des mesures d'interception de correspondances émises par voie de communications électroniques pour des infractions ne présentant pas nécessairement un caractère de particulière gravité et complexité, sans assortir ce recours des garanties permettant un contrôle suffisant par le juge du maintien du caractère nécessaire et proportionné de ces mesures durant leur déroulé. Le législateur n'a donc pas opéré une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions et le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances.

- Il a également censuré des dispositions du 2° du paragraphe III de l'article 46 autorisant le recours à des techniques spéciales d'enquête, dans le cadre d'une enquête de flagrance ou préliminaire, pour tout crime, et non pour les seules infractions relevant de la criminalité et de la délinquance organisées.

S'agissant de techniques présentant un caractère particulièrement intrusif, le Conseil constitutionnel relève que, si le juge des libertés et de la détention peut ordonner à tout moment leur interruption, les dispositions contestées ne prévoyaient pas qu'il puisse accéder à l'ensemble des éléments de la procédure. Ainsi, alors que son autorisation est donnée pour une durée d'un mois, le juge n'a pas accès aux procès-verbaux réalisés dans le cadre de l'enquête en cours autres que ceux dressés en exécution de sa décision et il n'est pas informé du déroulé de l'enquête en ce qui concerne les investigations autres que les actes accomplis en exécution de sa décision.

Par ce motif notamment, le Conseil juge que le législateur n'a pas opéré une conciliation équilibrée entre, d'un côté, l'objectif de recherche des auteurs d'infractions et, de l'autre, le droit au respect de la vie privée, le secret des correspondances et l'inviolabilité du domicile.

- le Conseil a censuré le paragraphe III de l'article 49 du code de procédure pénale permettant au procureur de la République d'autoriser les agents chargés de procéder à la comparution d'une personne à pénétrer dans un domicile après six heures et avant vingt-et-une heures.

Le Conseil a relevé que, d'une part, cette autorisation peut être délivrée à l'encontre de toute personne soupçonnée d'avoir commis ou tenté de commettre un crime ou tout délit puni d'une peine d'au moins trois ans d'emprisonnement. D'autre part, l'autorisation peut être délivrée non seulement si cette personne n'a pas répondu à une convocation à comparaître ou en cas de risque de modification des preuves ou indices matériels, de pressions ou de concertation, mais également en l'absence de convocation préalable si on peut craindre qu'elle ne réponde pas à une telle convocation. Enfin, elle permet aux enquêteurs de pénétrer de force dans tout domicile où la personne soupçonnée est susceptible de se trouver, y compris s'il s'agit du domicile de tiers.
Il juge que, dès lors, compte tenu du champ de l'autorisation contestée et de l'absence d'autorisation d'un magistrat du siège, le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre la recherche des auteurs d'infractions et le droit à l'inviolabilité du domicile.

- le Conseil a censuré le 3° du paragraphe X de l'article 54, supprimant l'obligation de l'accord de l'intéressé pour le recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle s'agissant des débats relatifs à la prolongation d'une mesure de détention provisoire.

Tout en relevant que le législateur a entendu contribuer à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics, en évitant les difficultés et les coûts occasionnés par l'extraction de la personne placée en détention provisoire, le Conseil constitutionnel relève que le recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle peut ainsi être imposé à l'intéressé lorsqu'il doit être entendu en vue de la prolongation de sa détention, y compris lorsque ce recours n'est pas justifié par des risques graves de troubles à l'ordre public ou d'évasion. Dès lors, eu égard à l'importance de la garantie qui s'attache à la présentation physique de l'intéressé devant le magistrat ou la juridiction dans le cadre d'une procédure de détention provisoire et en l'état des conditions dans lesquelles s'exerce un tel recours à ces moyens de télécommunication, le Conseil juge que les dispositions contestées portent une atteinte excessive aux droits de la défense.

* Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a assorti d'une réserve d'interprétation la validation de dispositions de l'article 58 de la loi étendant le champ d'application de l'amende forfaitaire délictuelle.

Il a notamment jugé que, si les exigences d'une bonne administration de la justice et d'une répression effective des infractions sont susceptibles de justifier le recours à de tels modes d'extinction de l'action publique en dehors de toute décision juridictionnelle, ce n'est qu'à la condition de ne porter que sur les délits les moins graves et de ne mettre en œuvre que des peines d'amendes de faible montant. Dès lors, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître le principe d'égalité devant la justice, s'appliquer à des délits punis d'une peine d'emprisonnement supérieure à trois ans. Sous cette réserve, et dès lors que le législateur a prévu que le montant de l'amende forfaitaire délictuelle ne saurait excéder le plafond des amendes contraventionnelles, a été écarté le grief tiré de la méconnaissance de ce dernier principe.

S'agissant de l'organisation des juridictions, sont par ailleurs validés par la décision de ce jour l'article 95 substituant aux tribunaux d'instance et de grande instance les tribunaux judiciaires et l'article 106 organisant une expérimentation relative aux fonctions d'animation et de coordination attribuées à certains chefs de cour d'appel et à la spécialisation de cours d'appel en matière civile.

Par sa décision n°2019-779 DC de ce jour, le Conseil constitutionnel a en outre validé la loi organique relative au renforcement de l'organisation des juridictions.

Retrouvez l'ensemble de la décision sur le lien ci-dessous.

Et, pour tous renseignements, contactez :

Arnaud de SAINT REMY
Avocat Associé – Ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats
Ancien président de la Conférence Régionale des Bâtonniers de Normandie
Membre du Conseil de l’Ordre des avocats au barreau de Rouen
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DÉCISION N°2019-778 DC DU 21 MARS 2019 DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL SUR LA LOI JUSTICE