C’est le considérant retenu dans une récente décision rendue par l’une des chambres répressives spécialisées en matière de droit de la presse de la métropole.
Pour pouvoir échapper à des poursuites fondées sur une action en diffamation en invoquant l’exception de vérité, il est impératif de respecter certains principes essentiels en disposant des preuves de nature à mettre en évidence que l’information portée à la connaissance du public était bien vraie.
Il faut rappeler qu’en droit, la vérité du fait diffamatoire constitue, selon la loi du 29 juillet 1881, au sens de l’article 35, un fait justificatif pour le prévenu poursuivi par la personne qui s’estime diffamée dès lors que le défendeur en a, lui-même, établi la preuve devant les juges, dans les conditions et suivant les formes déterminées par l’article 55.
Rappelons que l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 dispose en effet que « Si la preuve du fait diffamatoire est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la plainte ».
Rappelons aussi que l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881 dispose que : « Quand le prévenu voudra être admis à prouver la vérité des faits diffamatoires, conformément aux dispositions de l'article 35 de la présente loi, il devra, dans le délai de dix jours après la signification de la citation, faire signifier au ministère public ou au plaignant au domicile par lui élu, suivant qu'il est assigné à la requête de l'un ou de l'autre :
1° Les faits articulés et qualifiés dans la citation, desquels il entend prouver la vérité ;
2° La copie des pièces ;
3° Les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire la preuve »
La jurisprudence enseigne que :
- la vérité du fait diffamatoire n'est un fait justificatif qu'autant qu'elle a été établie par le prévenu lui-même, au cours du débat contradictoire dans les conditions et suivant les formes prescrites par l'article 55 de la loi ;
- Même si la vérité du fait diffamatoire était notoire et reconnue par le plaignant, ces circonstances ne dispensent pour autant le prévenu de suivre la procédure prescrite par la loi, ni autoriser les juges à en déduire le fait justificatif ;
- Les juges ne peuvent, d'office, admettre l'exactitude des imputations diffamatoires ;
- Pour produire l'effet absolutoire, il faut que cette preuve soit parfaite et corrélative aux diverses imputations formulées, dans leur matérialité et leur portée (« La preuve complète et corrélative de la vérité des faits diffamatoires doit être rapportée au regard tant de leur matérialité, que de leur portée et de leur signification » selon la Cour de cassation dans un arrêt du 8 avril 2004) ;
- Le prévenu peut produire pour les nécessités de sa défense, sans que cette production puisse donner lieu à des poursuites pour recel, des éléments provenant d'une violation du secret de l'enquête ou de l'instruction ou de tout autre secret professionnel s'ils sont de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires ;
- Selon le Conseil constitutionnel, dans une décision du 20 mai 2011, les dispositions prévoyant l'impossibilité pour la personne prévenue de diffamation, de rapporter la preuve de la vérité des faits diffamatoires de plus de dix ans, porte une atteinte à la liberté d'expression ont été déclarées contraires à la Constitution ;
- Et par décision rendue le 7 juin 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnel le c) de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 qui interdisait de rapporter la preuve des faits diffamatoires lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision.
Compte tenu des exigences de la loi et de la jurisprudence, il est donc rare que l’exception de vérité puisse être retenue, en définitive.
C’est pourtant ainsi qu’a jugé le Tribunal correctionnel de Nanterre dans un tout récent jugement du 8 janvier 2019 (obtenu par notre cabinet).
Dans cette affaire, un quotidien régional avait fait la Une de son édition sur la mise en examen d’un personnage public impliqué dans une information judiciaire aux côtés d’autres personnes mises en examen pour divers délits liés aux stupéfiants.
Le journal avait titré : « trafic de drogue – M. X mis en examen – soupçons sur un symbole ».
S’estimant diffamé autant par le titre que par le contenu circonstancié de l’article, l’intéressé avait déposé, contre le directeur de la publication du journal et l’auteur de l’article, une plainte avec constitution de partie devant un juge d’instruction qui, à l’issue de son information judiciaire, avait rendu une ordonnance de non-lieu pour vice de forme de la plainte eu égard aux imprécisions qui en affectaient la validité, non-lieu d’ailleurs confirmé en appel par la Chambre de l’instruction saisie par le plaignant.
Cependant, l’arrêt de la Chambre de l’instruction devait en définitive être censuré par la Cour de cassation qui estimait pour sa part qu’en réalité, la plainte était suffisamment précise pour qu’elle ne soit pas entachée de nullité.
C’est dans ces conditions que le Tribunal correctionnel de Nanterre avait été in fine saisi du fond de l’affaire.
A l’issue des débats au cours desquels la défense du directeur de la publication du journal et du journaliste avait invoqué, à titre principal, la vérité du fait diffamatoire (c’est-à-dire l’exacte mise en examen du plaignant dans une instruction portant sur un trafic de drogue) et, subsidiairement, l’exception de bonne foi notamment du fait de la légitimité du sujet d’actualité, le Tribunal correctionnel de Nanterre a relaxé les deux prévenus en retenant l’exception de vérité en des termes très nets.
L’offre de preuve faite par la défense répond, a dit le tribunal, aux critères dégagés par la jurisprudence ; elle était parfaite, complète et corrélative aux imputations diffamatoires dans toute leur portée. Les prévenus étaient donc en droit de publier l'information vraie relative à la mise en examen de Monsieur X…., l'article étant juste et éclairant pour le lecteur dans le respect d'équilibre et d'objectivité qui gouvernent les règles déontologiques des journalistes d'investigation.
Saluant ainsi le travail journalistique du quotidien qui avait pu légitiment traiter dans son édition de la mise en examen de cette personne publique, sujet pouvant effectivement intéresser ses lecteurs au titre du droit à l’information, outre qu’aucun propos excessifs ni imprudents ne pouvaient être reprochés au journaliste, le tribunal a conclu sa décision en faisant application (de manière assez exceptionnelle, ceci doit être souligné) de l’article 800-2 du Code de procédure pénale (rarement invoqué en justice) en mettant finalement à la charge du plaignant une indemnité destinée à compenser les frais de défense exposés par le directeur de la publication du journal et du journaliste.
Le plaignant n’ayant pas fait appel, ce jugement est définitif.
En conclusion, pour pouvoir échapper à des poursuites fondées sur une action en diffamation en invoquant l’exception de vérité, il est impératif de respecter les principes essentiels du journalisme d'investigation, en disposant des preuves de nature à mettre en évidence que l’information portée à la connaissance du public était bien vraie.
C’est ce à quoi n’avait pas manqué le quotidien régional mis en cause dans cette espèce, alors que sa ligne éditoriale a toujours eu coutume de s’attacher au respect de l’honneur et de la considération des personnes malgré tout mises en cause par la justice en s’appuyant sur les quatre critères fondamentaux que sont la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la mesure dans l’expression et la fiabilité de l’enquête.
Rappelons que ces principes s’imposent aussi bien à la presse écrite, audiovisuelle ou radiophonique qu’à la presse électronique ou à toute publication sur Internet.
Aussi, au moment d’écrire sur un sujet sensible, il est bon non seulement de mener à bien une enquête journalistique sérieuse, mais aussi de s’entourer de professionnels du droit.
Pour tout renseignement et assurer votre défense devant les juridictions pénales ou civiles en matière de presse, contactez :
Arnaud de SAINT REMY
Avocat Associé – Ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats
Ancien président de la Conférence Régionale des Bâtonniers de Normandie
En charge du pôle Droit de la presse, des médias et de l’Internet