Diffamation (non publique) : un mail diffamatoire envoyé entre personnes unies par une communauté d'intérêt est une contravention rendant impossible l'ouverture d'une information judicaire par un juge d'instruction

Diffamation (non publique) : un mail diffamatoire envoyé entre personnes unies par une communauté d'intérêt est une contravention rendant impossible l'ouverture d'une information judicaire par un juge d'instruction

Le choix procédural est important en matière de diffamation.

Il est de principe que les diffamations non publiques ne peuvent donner lieu à l'ouverture d'une information judiciaire en ce sens qu'il s'agit de contraventions, et non de délits.

L'erreur procédurale risque de rendre irrecevable la plainte et irrémédicablement compromise toute action indemnitaire de la partie civile qui s'estime victime de la diffamation non publique.

Dans une affaire récemment jugée par la Cour de cassation (22 janvier 2019), ces principes ont été clairement rappelés.

En l'espèce, la directrice d'une école privée, sous contrat d’association avec l’Etat, avait envoyé, par courriel aux adresses électroniques d’une inspectrice d’académie et de la boîte de réception structurelle [...], et par lettre recommandée à l’adresse postale de deux parents, le compte-rendu du conseil des maîtres au sujet du comportement de leur fille mineure, alors âgée de sept ans et scolarisée dans l’établissement, concluant à une prise en charge de l’enfant en dehors de cette école et comportant les passages qui suivent, relatifs :

- d’une part, à l’enfant : “Pendant la récréation, elle embrasse de force les garçons, les lèche, monte sur eux à califourchon, touche leurs parties intimes. Il faut en permanence gérer des situations très critiques” (...) “La maîtresse n’a aucune possibilité de savoir où elle se trouve sachant que la fillette avait été retrouvée (grâce aux caméras de surveillance et à la vigilance des membres des équipes de sécurité, des équipes pédagogiques et des équipes technique) dans des lieux interdits d’accès aux élèves : (..) - dans des classes de collège situées au 4ème étage pendant un cours de musique, pendant une évaluation de mathématiques en 3ème où elle a empêché les élèves de travailler en disant qu’elle était capable de sauter du 4ème étage, - au secrétariat où elle a rampé au milieu des câbles, où elle a presque démoli le photocopieur, où elle est montée sur les meubles pour tenter d’ouvrir la fenêtre en disant qu’elle voulait sauter (2ème étage)” ;

- d’autre part, aux parents, dans le courriel : “Négligence des parents pour défaut de soins”, “En la mettant à l’école, les parents de la fillette la mettent en danger”, “Les parents sont responsables de la situation de leur enfant’, “Les parents sont responsables de ne pas avoir pris en charge leur enfant. Il faut la faire soigner en urgence”, et dans le courrier recommandé : “En la mettant à l’école, les parents de l'enfant la mettent en danger”, “Les parents sont responsables de la situation de leur enfant”, “Les parents sont responsables de ne pas avoir pris en charge leur enfant. Il faut la faire soigner en urgence”.

Estimant que leur fille avait par ces propos été atteinte dans son honneur et sa considération, ses parents avaient, au nom de leur enfant mineure porté plainte et s’étaient constitués parties civiles devant le juge d'instruction territorialement compétent.

Après examen de la plainte, le juge d’instruction a déclaré celle-ci irrecevable en constatant que les propos litigieux n’avaient pas été rendus publics et que seule une contravention de diffamation non publique pouvait être retenue.

C’est alors que les parties civiles relevèrent appel de cette décision

En appel, la Chambre de l'instruction confirma l'irrecevabilité de la plainte.

Elle a d'abord rappelé le principe selon lequel le droit pour une personne qui s'estime diffamée de provoquer l’ouverture d’une information ne s’étend pas aux contraventions.

Elle a estimé ensuite qu'en l’espèce, « le fait que les propos litigieux aient été adressés par courriel aux parties civiles ainsi qu’à deux inspectrices de la circonscription du [...] de paris ne saurait être assimilé à une publicité, une simple diffusion ne devant pas être confondue avec une communication au public ; Il apparaît que le courrier postal n’a été adressé qu’aux parties civiles, tandis que le courriel a effectivement été adressé en copie à « [...] » et à Arlette Z... ayant une adresse électronique à l’académie de Paris ; et d'ajouter que, cependant ces deux correspondants, appartenant visiblement à l’académie et à l’inspection de l’éducation nationale, sont indiscutablement liés à l’expéditeur par une communauté d’intérêts, de sorte que la publicité des propos, au sens de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, n’est pas caractérisée.

Dans son arrêt rendu le 22 janvier 2019, la Cour de cassation confirme l'arrêt de la Chambre de l'instruction.

Elle retient en effet que, dès lors qu’entre le chef d’un établissement scolaire sous contrat d’association, responsable, au titre de la vie scolaire, de l’ordre dans l’établissement, de l’application du règlement intérieur et de la mise en œuvre de la procédure et du prononcé des sanctions disciplinaires, et les membres de l’inspection académique, il existe un groupement de personnes liées par une communauté d’intérêts, l’Etat devant veiller, quelles que soient les modalités de scolarisation, à la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire garantissant les droits des élèves, notamment le principe du contradictoire et les droits de la défense, ainsi qu’à la protection de l’enfance, la Chambre de l’instruction a justifié sa décision jugeant irrecevable la plainte des parents de la fillette.

Deux conclusions s’imposent :

- D’abord, la justice a rejeté en l’espèce l’action en diffamation des parents de l’enfant indépendamment du point de savoir si les propos étaient ou non diffamatoires. Il y avait un vice de procédure dans la plainte initiale, rendant celle-ci irrecevable.

- Ensuite, il importe de faire attention au choix procédural d’un dépôt de plainte, à défaut de quoi l’action quand bien même elle serait fondée en droit ne pourra jamais plus prospérer. En l’espèce, l’erreur originelle a rendu définitivement irrecevable toute action indemnitaire ultérieure.

Pour vous accompagner dans le choix procédural le mieux adapté, et tous renseignements, contactez :

Arnaud de SAINT REMY
Avocat Associé – Ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats
Ancien président de la Conférence Régionale des Bâtonniers de Normandie
En charge du pôle Droit de la presse, des médias et de l’Internet

COUR DE CASSATION CRIMINELLE 22 JANVIER 2019 - N° DE POURVOI: 18-82612