Les dernières années ont été marquées par une succession de rapports et par une mutation dans les pratiques procédures (mise en état, proximité, spécialisation) souhaitée par les citoyens.
Ces rapports et mutations ont-ils provoqué pour autant des métamorphoses dans la procédure judiciaire civile ?
1) Les mutations dans les sources de la procédure :
A - L'européanisation de la procédure
Sur le plan juridictionnel, cette mutation s'est accomplie par l'action de la cour de justice des communautés et de celle de la cour européenne des droits de l’homme.
a) Par obligation :
Les litiges transfrontaliers
La reconnaissance des décisions ont abouti à la mise en place de procédures européennes (injonction de payer, petit litige) imposant de modifier les procédures nationales pour instaurer ces régimes dérogatoires
La réforme des procédures civiles internes :
En vue de supprimer les obstacles directs ou indirects a la libre circulation e des moyens de nullité des clauses abusives ou d'irrecevabilité (prescription).
b) Par incitation
Par extension des instruments transfrontaliers
Par souci de lisibilité et d'égalité, la communauté européenne a favorisé la recherche d'un modèle unique (transposition de la directive médiation, compatibilité des procédures et de l'accès à la justice)
Par comparaison et exemple :
Le tableau de bord des procédures dans les pays de la communauté a pour objectifs de favoriser l'efficacité de la justice et la croissance économique.
UNIDROIT chargé de promouvoir l'uniformisation du droit dans le monde a décidé de réfléchir à l'unification des pratiques en Europe.
Il est très probable que l'avenir confirme cette mise en place de cette unification, aboutissant à une procédure unique dans le périmètre de la communauté européenne.
B - La contractualisation de la procédure
Il s'agit d'évoquer la contractualisation des sources de la procédure civile.
Nombre de juridictions se sont dotés d'un protocole de procédure (sorte de convention conclu entre la juridiction et ses partenaires).
C'est une tendance de l'état à composer avec les praticiens de la norme :
- dès 2005, en favorisant la communication par voie électronique ;
- la modélisation du calendrier de procédure (accord-cadre avec les avocats) pour les procédures orales ;
- L’article 91 de la loi du 10 juillet 1991 incite les Ordres à formaliser des accords avec les chefs de juridiction ;
Les protocoles mis en œuvre sont divers dans leur contenu : rappel des dispositions du code de procédure civile, aménagement de la CPVE, le contenu des écritures et la présentation des compléments, les calendriers de procédures dont le respect est impératif, les règles de bonne pratique, etc...
Or, l’opposabilité de ces protocoles, notamment aux avocats de barreaux extérieurs, comme aux justiciables non assistés, pose véritablement question. Comment s’assurer que tous respectent les dispositifs convenus entre les Ordres et les juridictions locales ?
La contractualisation est également effective car le protocole s'impose par la force obligatoire des conventions et le respect déontologique des avocats.
Hors quelques rares exceptions, personne ne conteste l'efficacité de ces conventions dont l'objectif est d'accélérer et d'améliorer le fonctionnement de la justice.
La sanction procédurale prévue par le protocole est jugée valide par les cours d'appel, garant des principes de respect du contradictoire et de la loyauté dans le débat judiciaire, ce qui renforce la force exécutoire de la convention.
2) Les mutations dans les modes de communication :
A - L'ère du numérique
L'exigence de fiabilité de l'identification des parties est assurée par le certificat électronique dont dispose l'avocat : la connexion au RPVA par l'identifiant de l’avocat vaut signature électronique.
Les cabinets d’avocats qui bénéficient de cette connexion sécurisée offrent aux justiciables une fiabilité et une efficacité réelle dans le traitement de leurs dossiers au regard des exigences imposées par la procédure civile.
Cependant, rien n'est prévu encore pour la signification des décisions.
Le RPVA devrait conduire à la disparition de la postulation géographique ; se pose en parallèle un problème d'égalité des citoyens sur l'accès à la justice (article 10 de la CUDH de 1948).
Sur l'adhésion à la communication électronique via le RPVA, la cour de cassation a tranché par un avis récent, dans le sens de la présomption d'acceptation par l'adhésion au RPVA bien que cela contrevienne à la lettre du texte (qui exige un consentement exprès)
Ceci coupe court à certaines pratiques qui consistaient à contester la signification des écritures communiquées par voie électronique au motif que l’on n’avait pas adhéré à ce mode de communication, ce qui permettait ensuite de régulariser des écritures, par exemple tardivement, ou encore à opposer des incidents de procédures parfois dilatoires.
La communication par voie électronique est un souhait partagé par les juridictions pour aboutir à terme à une harmonisation de la structuration des écritures et à une organisation du temps d'audience, bien qu'il n'y ait aucun lien direct entre les deux.
Le risque est donc réel de voir la procédure se standardiser, s’automatiser, et au final se déshumaniser par l'abandon pur et simple de la plaidoirie.
Ce risque est amplifié par la diminution des moyens mis à la disposition du juge au détriment des intérêts du juge et du justiciable.
Or, pour concevoir le juge du 21ème siècle, il faut certes faire preuve d'audace et de capacité d'adaptation, mais il faut aussi s’assurer que les principes fondamentaux du droit au procès équitable soient garantis et que la Justice dispose des moyens matériels et humains pour qu’elle soit effectivement rendue.
B - La procédure orale/écrite
a) Le décret du 1er octobre 2010
L'oralité des débats conserve sa place en raison de son intérêt dans certaines procédures urgentes.
Néanmoins, la procédure écrite tend à supplanter ce principe dans la contractualisation de la procédure, ce que permet ce décret.
Pourquoi faire un tel choix ?
A priori, cela permet d'échapper au cadre incertain d'échange des écritures dans la procédure orale et du respect du contradictoire, favorisant ainsi la sécurisation de la procédure.
A cet égard, le décret formule des règles générales (et non communes) qui définit le régime juridique de ces pratiques adoptées par convention, ce qui va favoriser l'uniformisation des règles de procédure mais permettre une adaptation aux besoins de chaque contentieux (règles transversales à décliner selon les besoins de chaque juridictions ou contentieux) :
- Décret du 28 décembre 2005 sur la déclaration au greffe par requête
- Décret du 1er sept 2011 sur l'introduction d'une instance en la forme des référés
- Décret du 1er octobre 2010
C'est un retour aux sources par une démarche codificatrice selon une méthodologie renouvelée.
b) Le point de vue du praticien :
Cette faculté accordée aux praticiens (juges, greffiers ou avocats) a d'abord dérouté en raison de la mutation qu'elle génère dans la culture du juge soumis à la loi.
Le juge consulaire, acteur ou spectateur ?
- L'article 446 rappelle le principe de l'oralité des débats
- L'article 861-1 du code de procédure civile régit la communication écrite
- Les articles 671 et 673 organisent la communication entre les avocats
- L'article 748-1 prévoit la communication par voie électronique
Il en ressort qu’aucune procédure écrite ne pourra totalement remplacer les précisions faites à l’audience par le praticien. L’audience garde donc tout son intérêt.
3) Dans les places respectives des parties et du juge :
A - L'office du juge
a) Les métamorphoses réalisées
Dans la procédure accusatoire, le juge a vu ses pouvoirs s’accroître : saisine d'office, délais impartis, droit applicable et administration de la preuve, etc …
Les arrêts CESAREO de 2006 et DAUVIN en 2007 de l'assemblée plénière impose aux parties de concentrer les moyens dès la première instance sans que le juge ne soit obligé de soulever les moyens efficaces.
Sur le principe de la contradiction, il faut évoquer le développement des procédures unilatérales (ordonnance sur requête) sous réserves de respecter l'accès à la contestation (contentieux inversé).
La conciliation s'est également développée (art.127 du CPC) à l'initiative du juge
A l'origine de ces métamorphoses, il existe des « forces du passé » et les « puissances du siècle ».
Les forces du passé sont prépondérantes :
- la justice de paix issue de la Révolution ;
- la condamnation de la saisine d'office issue de la jurisprudence européenne ;
- le contentieux inversé issue de la tradition républicaine (afin de rétablir une égalité concrète entre les plaideurs) ;
- le juge gardien des délais l'application des règles, manifestation de l'autoritarisme impérial.
b) Les métamorphoses préconisées
Une importante réforme de la justice est en cours (3 rapports : Delmas-Goyon, Marshall, Nadal) dont les idées forcés sont les suivantes :
- rompre l'isolement du juge : partage entre les juges (collégialité, site de discussion, diffusion de veille juridique, enrichir l'origine des juges notamment pour les universitaires), partage avec les autres partenaires (recrutement d'attaches de justice, meilleure communication des décisions de justice, associer les avocats à la vie de la juridiction) ;
- contenir l'office du juge : resserrer ou recentrer, déjudiciariser certains contentieux, renforcer les MARD, promouvoir la culture de la médiation, déjuridictionnaliser en confiant certains contentieux au greffier ;
- clarifier l'office du juge : repartir les missions du JME (exception dilatoires et vices de formes mais pas les fins de non-recevoir et celles de la juridiction).
Rapport Marshall : http://www.justice.gouv.fr/publication/rapport_Marshall_2013.pdf
Rapport Nadal :http://www.justice.gouv.fr/publication/rapport_JLNadal_refonder_ministere_public.pdf
Rapport Delmas-Goyon : http://www.justice.gouv.fr/publication/rapport_dg_2013.pdf
B - La procédure d'appel
a) Le décret Magendie
Les difficultés posées par l'application de cette réforme entraînent des conséquences contraires aux objectifs de célérité poursuivies initialement.
Ainsi l'application dévoyée de l'article 912 a permis de retarder la procédure après l'expiration du délai de 5 mois (3+2).
Aussi, faut-il probablement repenser non seulement les pratiques mais également admettre que l'appel est une voie de réformation (et non d'achèvement).
L'un des moyens envisagé pour réduire l'appel consiste à rendre exécutoire les décisions par principe et à refuser de suspendre l'exécution provisoire.
b) Le déféré d'appel
La contestation des décisions rendues par le conseiller de la mise en état sont soumises à la cour (article 916) sans que le conseiller ne puisse siéger.
Les compétences du conseiller sont très vastes mais la procédure de déféré ne les vise pas toutes (pas les mesures accessoires, pas la radiation).
La ligne de partage n'est pas simplement celui de l'autorité de la chose jugée.
Mais s'agissant des décisions de caducité ou d'irrecevabilité de l'appel, le déféré est admis quel que soit le sens de la décision.
Le délai de 2 mois pour exercer l'appel provoqué s'applique à l'assignation mais pas la saisine de la cour.
Le déféré qui a un effet nécessairement suspensif est un recours, mais n'est pas un appel dans l'appel.
Il s'agit d'un contrôle de la cour sur le travail du CME et le recours s'exerce donc pas voie de requête.
c) L'appel voie d'achèvement ?
Traditionnellement l'appel s'accompagnait d'un principe d'immutabilité du litige (données identiques) qui empêche a la cour de se prononcer sur des demandes nouvelles et des moyens nouveaux (voie de réformation).
La réforme Magendie a instauré l'appel voie d'achèvement (moyens nouveaux et pièces nouvelles recevables, voire même certaine demandes nouvelles 554 et 555, 563 et 564 du Code de procédure civile).
Or, tant que toutes les demandes nouvelles ne sont recevables, il ne s'agit pas d'une voie d'achèvement absolue.
L'abandon de la voie d'achèvement a été suggéré par les premiers présidents en 2013.
Cet abandon permettrait :
- d'accélérer la procédure d'appel et de réduire les appels (l'argument économique est d'ailleurs prépondérant dans la réflexion) ;
- de revaloriser les décisions de première instance ;
- de mieux respecter le deuxième degré de juridiction.
Conséquences négatives :
- les demandes irrecevables en appel pourraient être représentées devant un juge de première instance ;
- le système priverait le plaideur d'un moyen que la recherche de la vérité (objectif prioritaire de la justice) nécessiterait de prendre en compte (voir les conséquences de l'arrêt CESAREO de 2006)
En résumé, l'affaire est de nouveau jugée en appel, ce qui attribue à l'appel un caractère hybride.
En conclusion
La procédure judiciaire civile est en perpétuelle évolution et les réformes se succèdent.
Des adaptations sont probablement nécessaires pour tenir compte de la réalité de notre monde actuel, du monde des affaires et de la société qui connaît de profondes mutations.
Et sous réserve du respect de ces principes fondamentaux, les mutations de la procédure apparaissent nécessaires dans un monde lui-même en profonde mutation.
Que sera la Justice du 21ème ?
Quelques que soient les reformes en cours de discussion, les principes fondamentaux sont intangibles et doivent être respectés. Le droit au procès équitable impose ainsi de maintenir la place centrale du juge dans le processus judiciaire.
Car il lui reviendra toujours la mission de traiter le contentieux en tenant compte des demandes et de la défense des parties, assistées de leurs conseils indépendants et expérimentés, les avocats qui sont leurs défenseurs naturels.
Frédéric CANTON, avocat associé
fcanton@emmo-hebert.com