Connue de tous, la notion de « crédit responsable » ressort d’un texte ancien, la loi Neiertz de 1989. D’abord cantonnée aux crédits à la consommation, cette exigence de responsabilisation a vite pris de l’espace sur le terrain des crédits professionnels.
Le premier pas a été franchi par les juges de la Cour de cassation avec l’arrêt dit « Macron » du 17 juin 1997 lequel a affirmé la responsabilité contractuelle du créancier bénéficiant d’un cautionnement manifestement disproportionné au regard des biens et revenus de la caution.
La sanction consistait alors dans l’octroi de dommages intérêts.
Puis, les juges ont fini par considérer que la disproportion était un moyen de défense qui échappait aux cautionnements consentis par les dirigeants des entreprises, en ce qu’ils sont les plus à même de connaître la situation de leur entreprise.
C’est le sens de l’arrêt « Nahoum » rendu par la chambre commerciale de la Cour de Cassation le 8 octobre 2002.
Finalement, face aux incertitudes de la jurisprudence, le législateur, avec la loi « Dutreil » du 1er août 2003, a souhaité instituer un régime plus protecteur :
Lequel bénéficie à toutes les cautions – professionnelles ou particuliers,
Justifie un double contrôle de la disproportion, d’une part au moment de la conclusion de l’engagement, d’autre part, une fois que l’engagement est mis en jeu par le créancier par suite de la défaillance de l’emprunteur principal,
Et dont la sanction est particulière puisqu’elle consiste à considérer le cautionnement comme inefficace.
Le texte consacrant ce moyen de défense est l’article L. 341-4 du Code de la Consommation : « Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ».
Depuis, ce texte donne lieu à un contentieux de masse.
Il est fréquemment visé par les cautions pour critiquer leur engagement une fois poursuivis par les créanciers.
Ce moyen de défense est généralement soulevé alternativement avec le grief de manquement au devoir de mise en garde.
Le devoir de mise en garde est une création jurisprudentielle fondée sur la responsabilité contractuelle : Face à un emprunteur ou une caution profane en matière de crédit, le banquier doit s’assurer que le concours n’expose pas son client à un risque d’endettement excessif.
A tout le moins, le banquier a l’obligation d’avertir l’emprunteur ou la caution des conséquences qu’un crédit excessif aurait sur sa situation.
A défaut, le créancier (la banque) s’exposerait au paiement de dommages intérêts représentatifs d’une perte de chance de ne pas contracter dont le montant ne saurait correspondre à celui réclamé par le créancier.
La Cour de cassation a consacré, en début d’année, un caractère imprescriptible au moyen de défense consistant à arguer du caractère disproportionné du cautionnement.
Cour de cassation chambre civile 1, 31 janvier 2018 n°16-24092, publié au bulletin.
Compte tenu de la généralité de l’attendu de la Cour de Cassation, il devrait en être de même s’agissant du grief de manquement au devoir de mise en garde lorsqu’il est invoqué en réplique aux poursuites du créancier.
Toutefois, les deux moyens de défense, disproportion ou manquement au devoir de mise en garde, ne sauraient toutefois être confondus.
Il est vrai que dans le cadre du « crédit responsable », les juges ont eu tendance à adopter un contrôle de l’endettement pouvant naître de la mise en jeu du cautionnement.
En effet, les arrêts concluant à la disproportion en se référant au taux d’endettement sont courants entretenant une confusion avec le devoir de mise en garde de la banque.
Ainsi, le fait qu’un engagement représentait plusieurs années de revenus a pu être considéré comme disproportionné, de même lorsque l’engagement représentait la totalité du patrimoine de la caution.
Le texte réserve la sanction d’inopposabilité aux disproportions manifestes.
La Cour de cassation l’a rappelé récemment avec rigueur aux termes d’un autre arrêt publié.
Cour de cassation chambre commerciale, 28 février 2018 n°16-24841.
La Cour casse pour manque de base légale l’arrêt rendu par les juges d’appel qui avait considéré l’engagement de la caution disproportionné en ce qu’il représentait la quasi intégralité du revenu et du patrimoine de la caution.
Pour la Cour de cassation, cette motivation est impropre à établir la disproportion manifeste de l’engagement aux biens et revenus de la caution au moment de sa conclusion.
Partant, la Cour de cassation marque encore un peu plus la singularité du grief tiré de la disproportion avec le devoir de mise en garde du banquier face aux situations d’exposition à un risque d’endettement.
Que faut-il en penser ?
Ce resserrement des conditions doit être salué.
Le moyen de disproportion dont la sanction est si radicale doit être réservée aux cas les plus manifestes.
En effet, majeure partie des engagements de caution viennent couvrir des engagements de dirigeants pour la société qu’ils représentent.
Or, reprocher aux banques de trop prêter a des conséquences « perverses » sur le crédit professionnel, et donc sur l’investissement.
C’est l’une des considérations qui a conduit le législateur a posé en 2006 un principe d’irresponsabilité du créancier pour les concours consentis aux entreprises s’étant trouvées en procédure collective.
Il s’agissait surtout d’inciter les établissements de crédit à soutenir les entreprises en proie à des difficultés économiques de nature à les conduire à une cessation des paiements ou se trouvant depuis peu dans une telle situation.
L’ordonnance du 18 décembre 2008 a consacré trois exceptions au principe d’irresponsabilité du créancier que sont :
la fraude,
l’immixtion caractérisée dans la gestion et
la prise de garantie(s) disproportionné(e)(s).
Ces exceptions aux conditions d’application particulièrement rigoureuses justifient aujourd’hui bien plus d’actions des dirigeants qui ont cautionné les engagements de leur entreprise que d’actions engagées par des administrateurs et/ou mandataires des entreprises en difficultés.
La réforme sur ce point n’a donc pas découragé les contestations des cautions.
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