Jurisprudence sociale : un salarié peut-il demander la production de documents non anonymisés concernant d’autres salariés de l’entreprise ?

Jurisprudence sociale : un salarié peut-il demander la production de documents non anonymisés concernant d’autres salariés de l’entreprise ?

Oui, si sa demande est justifiée au titre du droit à la preuve. Les juridictions sont invitées à s’assurer que la protection de la vie privée des salariés ne soit pas de nature à porter atteinte à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination.

 Quels étaient les faits de l’espèce ?

Une salariée, soupçonnant son employeur de discrimination en raison de son sexe, a demandé en référé qu’il lui communique des documents non anonymes avec mention du salaire de dix hommes travaillant avec elle, et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche. Cette demande est assortie d’une astreinte par jour de retard.

La formation de référé fait droit à sa demande. L’employeur ne transmet pas les documents, arguant que les personnes concernées ont opposé un refus.

La salariée sollicite alors la liquidation de l’astreinte prévue à défaut de communication dans les délais.

Pour débouter la salariée de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui verser une certaine somme au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire, la Cour d’appel a retenu que le bulletin de paie d'un salarié comprend des données personnelles.

 Quelle est la réponse de la Cour de cassation ?

Saisie, la Cour de cassation considère finalement qu’en présence d’une atteinte à la vie privée, la communication de ces documents non anonymisés est possible sans avoir à recueillir le consentement des intéressés, si elle est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi.

Cette condition devra être vérifiée, et pourra le cas échéant justifier le versement de l’astreinte.

En matière de discrimination, la preuve est allégée pour le salarié, qui doit seulement réunir des éléments établissant une présomption de discrimination.

Cet arrêt du 16 mars 2021 s’inscrit dans cette lignée, qui permet de faciliter la preuve de la discrimination pour un salarié.

Ici, il est probable que seule la communication de ces éléments permettait de constater ou d’écarter l’existence d’une discrimination fondée sur le sexe.

Les employeurs devront donc être vigilants à fournir les documents sollicités par les juridictions, au risque de se voir condamnés à une astreinte élevée.

Source : arrêt Cour de cassation, chambre sociale, 16 mars 2021, n°19-21.063

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Emmanuelle DUGUE-CHAUVIN
Avocat associé spécialiste en droit social
En charge du Pôle social et du Pôle Santé-Sécurité au travail au sein du cabinet EMO AVOCATS
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Clémence MOREAU
Avocat
Pôle social du cabinet EMO AVOCATS
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