Trouble mental et poursuites pénales : l'arrêt de la Cour de cassation suscite un nouveau projet de loi sur l'irresponsabilité pénale

Trouble mental et poursuites pénales : l'arrêt de la Cour de cassation suscite un nouveau projet de loi sur l'irresponsabilité pénale

Une personne qui a commis un acte sous l’emprise d’une bouffée délirante abolissant son discernement ne peut pas être jugée pénalement même lorsque son état mental a pu être causé par la consommation régulière de produits stupéfiants.

En effet, la loi ne prévoit pas de distinction selon l’origine du trouble psychique. C'est ce qu'a jugé la Cour de cassation dans son arrêt du 14 avril 2021.

Cet arrêt a suscité de vives réactions. Explications.

Que dit, en l'état, la loi ?

Selon la loi, une personne ne peut pas être tenue pénalement responsable de ses actes lorsqu’elle était atteinte, au moment des faits qui lui sont reprochés, d’un trouble psychique ou neuropsychique qui a aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.

Les faits de l'espèce

Le 4 avril 2017 à 5 heures 35, des fonctionnaires de police du 11ème arrondissement de Paris sont intervenus au domicile d'une famille, suite à un appel téléphonique avertissant que cette famille était victime d’une séquestration. Après avoir forcé la porte, les policiers ont interpellé un homme dans la pièce principale, en train de réciter des versets du Coran.

Dans le même temps, les policiers ont découvert le corps sans vie d’une femme. Les premiers éléments ont montré qu’elle était tombée du balcon d’un appartement situé dans l’immeuble contigu.

Une information judiciaire était ouverte le 14 avril 2017 des chefs d’homicide volontaire et d’arrestation, enlèvement, détention ou séquestration avec absence de libération volontaire avant le septième jour.

Le 10 juillet 2017, l'homme était mis en examen de ces chefs. Après la délivrance d’un réquisitoire supplétif, la circonstance que les faits ont été commis à raison de l’appartenance vraie ou supposée de la victime à une race ou une religion déterminée a été notifiée à l’intéressé.

Par ordonnance de transmission de pièces aux fins de saisine de la chambre de l’instruction, en date du 12 juillet 2019, les juges d’instruction, après avoir écarté la circonstance aggravante précitée, ont estimé qu’il existait contre lui, d’une part, des charges suffisantes d’avoir commis les faits d’homicide volontaire et de séquestration qui lui étaient reprochés et d’autre part, des raisons plausibles d’appliquer le premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal.

Les parties civiles et le ministère public ont interjeté appel de cette ordonnance.

L'une des deux questions posées à la Cour de cassation concernait les limites de la responsabilité pénale

La chambre de l’instruction avait considéré qu’il existait des charges suffisantes contre l’intéressé d’avoir commis les faits de séquestration d’une famille et de meurtre d’une femme aggravé par la circonstance que les faits ont été commis en raison de l’appartenance de la victime à la religion juive.

Or, selon les avis de différents experts psychiatriques, l'individu présentait, au moment des faits, une bouffée délirante aigüe.

Après avoir relevé que cette bouffée délirante était due à la consommation régulière de cannabis, la chambre de l’instruction a déclaré l’homme pénalement irresponsable, son discernement ayant été aboli lors des faits.

La chambre de l’instruction a placé cet homme en soins psychiatriques contraints sous la forme d’une hospitalisation complète et l’a soumis à une interdiction d’entrer en contact avec les parties civiles et de paraître sur le lieu des faits pendant vingt ans.

Lorsqu’elle est à l’origine d’un trouble psychique, la consommation de produits stupéfiants constitue-t-elle une faute qui exclut l’irresponsabilité pénale ?

Les demandeurs au pourvoi ont critiqué l’arrêt de la Chambre de l'instruction en ce qu’il a déclaré le mis en examen irresponsable pénalement en raison d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits

"En cohérence avec la jurisprudence antérieure, mais pour la première fois de façon aussi explicite" (précisent les termes du communiqué de presse de la Cour de cassation), la Cour juge au contraire que la loi sur l’irresponsabilité pénale ne distinguait pas selon l’origine du trouble mental qui a fait perdre à l’auteur la conscience de ses actes.

Or, le juge ne peut distinguer là où le législateur a choisi de ne pas distinguer.

"Ainsi la décision de la chambre de l’instruction est conforme au droit en vigueur" explique la Cour de cassation.

Les pourvois formés par les parties civiles ont donc rejetés.

On signalera que, selon la Cour de cassation, les juges ont retenu que les déclarations du mis en examen, disant qu’il s’était senti plus oppressé après avoir vu la torah et le chandelier, et qu’il pensait que le démon était la victime, jointes aux témoignages indiquant l’avoir entendu crier « Allah Akbar, c’est le sheitan, je vais la tuer », puis « j’ai tué le sheitan » et « j’ai tué un démon », et aux constatations des experts selon lesquelles la connaissance du judaïsme de la victime a conduit la personne mise en examen à associer la victime au diable, et a joué un rôle déclencheur dans le déchaînement de violence contre celle-ci, constituent des charges suffisantes de commission des faits à raison de l’appartenance de la victime à la religion juive.

Pour dire que le discernement de la personne mise en examen était aboli au moment des faits, l’arrêt de la Chambre de l'instruction relève que le récit du mis en examen, corroboré par celui des membres de sa famille et de l'autre famille endeuillée, montre que ses troubles psychiques avaient commencé le 2 avril 2017, et ont culminé dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, dans ce que les experts psychiatres ont décrit de manière unanime comme une bouffée délirante.

La cour de cassation note que les juges ont considéré que seul le premier expert saisi a estimé qu’en dépit du caractère indiscutable du trouble mental aliénant, le discernement du mis en en examen ne pouvait être considéré comme ayant été aboli, au sens de l’article 122-1, alinéa 1er, du code pénal, du fait de la consommation volontaire et régulière de cannabis ; que le deuxième collège d’experts a estimé que la bouffée délirante s’est avérée inaugurale d’une psychose chronique, probablement schizophrénique et que ce trouble psychotique bref a aboli son discernement, que l’augmentation toute relative de la prise de cannabis s’est faite pour apaiser son angoisse et son insomnie, prodromes probables de son délire, ce qui n’a fait qu’aggraver le processus psychotique déjà amorcé ; que le troisième collège d’experts a estimé que le sujet a présenté une bouffée délirante caractérisée d’origine exotoxique orientant plutôt classiquement vers une abolition du discernement au sens de l’article 122-1, alinéa 1er, du code pénal, étant précisé qu’au moment des faits son libre arbitre était nul et qu’il n’avait jamais présenté de tels troubles antérieurement.

La Cour de cassation relève de même que, selon les juges du fond, la circonstance que cette bouffée délirante soit d’origine exotoxique et due à la consommation régulière de cannabis, ne fait pas obstacle à ce que soit reconnue l’existence d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, puisqu’aucun élément du dossier d’information n’indique que la consommation de cannabis par l’intéressé ait été effectuée avec la conscience que cet usage de stupéfiants puisse entraîner une telle manifestation. Ils en concluent qu’il n’existe donc pas de doute sur l’existence, chez le mis en examen, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.

C'est pourquoi, en l’état de ces énonciations, déduites de son appréciation souveraine des faits et des preuves, la chambre de l’instruction a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a déclaré, d’une part, qu’il existait à l’encontre du mis en examen des charges d’avoir commis les faits reprochés, d’autre part, qu’il était irresponsable pénalement en raison d’un trouble psychique ou neuro-psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits.

En effet, pour la Cour de cassation, les dispositions de l’article 122-1, alinéa 1er, du code pénal, ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition de ce discernement.

C'est ainsi qu'elle a rejeté le pourvoi des parties civiles et du ministère public.

Vers une modification de la loi ?

Un projet de loi destiné à « combler un vide juridique » a été annoncé par Éric Dupond-Moretti, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, après cette décision de la Cour de cassation.

Le ministre explique avoir reçu officiellement le rapport de Messieurs Philippe Houillon et Dominique Raimbourg sur l'irresponsabilité pénale commandé par Nicole Belloubet en février 2020, et a annoncé qu'il présentera un projet de loi en Conseil des ministres à la fin du mois de mai.

Dans leurs conclusions, les rapporteurs retenaient qu'il n'était pas nécessaire de modifier l'article 122-1 du code pénal sur l'irresponsabilité pour trouble psychique ou neuropsychique. Ils formulaient en revanche diverses propositions d'améliorations techniques du dispositif issues de la loi de février 2008 qui a créé une audience durant laquelle la chambre de l'instruction, constatant l'irresponsabilité, se prononce toutefois sur la réalité des faits commis et sur les mesures de sureté nécessaires.

Dans son arrêt, l'arrêt de la Cour de cassation rendu ce mercredi 14 avril a souligné que « la loi sur l'irresponsabilité pénale ne distingue pas selon l'origine du trouble mental qui a fait perdre à l'auteur la conscience de ses actes. Or, le juge ne peut distinguer là où le législateur a choisi de ne pas distinguer ».

Dès lors, le ministre estime qu'il faut tirer les conséquences de cette décision qui constate l'absence de possibilité offerte par le droit actuel de tenir compte de la prise volontaire de substances toxiques par un individu conduisant à l'abolition de son discernement.

L'objet du projet de loi sera donc d'apporter un correctif à cela.

Une mission d'information flash vient d'être confiée, ce mardi 4 mai 2021, sur ce sujet à nos Naïma Moutchou et Antoine Savignat, tous deux avocats et députés du Val d'Oise.

Elle doit rendre son rapport, fin mai.

A suivre donc...  

Pour tous renseignements, contactez-nous

Par mail ou par téléphone au 02 35 59 83 63

Arnaud de SAINT REMY
Avocat Associé – Ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats
Vice-Président de la Commission Libertés & Droits de l'Homme au Conseil national des barreaux
adestremy@emo-avocats.com