Le Projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire » présenté par Monsieur le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti s’ouvre sur une proposition de réforme qui se veut novatrice. Mais, en vérité, ce débat sur l’enregistrement et la diffusion des audiences n’est pas nouveau. Il est même assez ancien. Il remonte à plus d'une quinzaine d'année.
Mais, faut-il filmer les procès ? Est-ce possible ? Est-ce souhaitable ? Que faut-il en penser ?
En l'état actuel du droit, on ne peut pas filmer un procès, ni prendre des photos
La loi du 29 juillet 1881 (article 38 ter) sur la liberté de la presse ne permet pas en l'état actuel des textes d'enregistrer les audiences et les débats judiciaires, ni de prendre des photos au cours des audiences.
Caméras, appareils photos et dictaphones sont interdits.
La loi n'a prévu qu'une exception, très encadrée, avec la Loi Badinter du 11 juillet 1985 : la constitution des archives historiques de la justice.
Ce dispositif exceptionnel permet, dans certaines circonstances, d'enregistrer les grands procès de notre Histoire contemporaine.
C'est ainsi que les procès de Barbie et de Touvier avaient pu être filmés.
Le dernier en date a été celui des attentats terroristes de 2015.
Mais, la justice du quotidien n'est pas habituellement l'objet d'enregistrement en France.
Cela existe pourtant dans certains pays dans le Monde (Etats-Unis, Brésil, Espagne, etc...).
Actuellement, les documentaires que les journalistes peuvent réaliser à l'attention du public et qui sont diffusées sur les chaines françaises doivent faire l'objet d'une autorisation spéciale accordée par le Ministère de la justice dans le cadre d'une contractualisation.
Que se propose de changer la loi "confiance" ?
Reprenant une idée qui avait été présentée dans un rapport remis le 22 février 2005 sous la signature de Mme Elisabeth Linden au Ministre de la justice de l'époque, Dominique Perben, le gouvernement d'aujourd'hui, par l'intermédiaire de son nouveau Garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, envisage, par la création dans la loi de 1881 d'un article 38 quater (dérogatoire), que l’enregistrement sonore ou audiovisuel des audiences peut être autorisé pour un motif d’intérêt public en vue de sa diffusion.
Filmer les procès apparaitrait-il comme l'un des moyens de restaurer la confiance du public envers la justice de notre pays ?
C'est apparemment l'idée.
S'il est dit, dans le nouveau texte, que les modalités de l’enregistrement ne doivent porter atteinte ni au bon déroulement de la procédure ou des débats ni au libre exercice de leurs droits par les parties et les personnes enregistrées et que le président de l’audience peut, à tout moment, suspendre ou arrêter l’enregistrement pour l’un de ces motifs, le projet de Loi "confiance" pose plus de questions de fond qu'il n'en résout.
L'idée de filmer les procès est intéressante, mais il faut prévoir des garde-fous et se préserver des excès
Il ne saurait être question de concevoir une "justice spectacle".
Si le projet de Loi va dans un sens positif pour renforcer et moderniser le principe constitutionnel de la publicité des débats judiciaires, et pour rendre la justice plus visible et plus lisible à l'ensemble de nos concitoyens, il faut se préserver absolument des risques que comporte l'enregistrement sonore ou audiovisuel des audiences judiciaires.
Naturellement, plusieurs questions se posent : Pour quelles audiences l’enregistrement sonore ou audiovisuel serait autorisé ? Par qui l'autorisation serait donnée ? Pour quel motif ? Pour quel usage ? Selon quelles modalités ? Sur quel support ? Sous quelles réserves et conditions respectueuses des droits de la défense, de la sincérité et de la sérénité des débats ? Et pour combien de temps ?
Le motif d’intérêt public tel que l'envisage le projet de Loi est une notion vague et générale.
La loi du 11 juillet 1985 avait défini l’intérêt public en jeu par son objectif de « constitution d’archives historiques de la justice ».
Dans le Projet de Loi « confiance », quel est l’objectif ? Satisfaire la curiosité du public Renforcer le principe de publicité des débats dans une société démocratique soumise à de nouveaux supports de communication ? Par la présence d’un public extérieur venu en nombre assister à une audience par les nouveaux canaux virtuels, participer à ce que la justice soit rendue dans le respect des principes de l’égalité des armes entre les parties et le respect des droits de la défense ? Par l’impérieuse nécessité d’assurer l’impartialité du juge ?
Il sera nécessaire que le législateur se montre plus précis sur l’objectif poursuivi et déterminer ce qui pourrait relever de l’intérêt public, en le distinguant de « l’intérêt du public », afin que de justifier en quoi l’enregistrement sonore ou audiovisuel des audiences mériterait d’être autorisé.
Les séances du Conseil constitutionnel sont filmées et les vidéos sont accessibles sur son site Internet. Certaines audiences de la Cour de cassation ou du Conseil d'État pourrait parfaitement l'être tout autant.
Respecter les garanties des droits de la défense et la vie privée des individus
Par ailleurs, tout enregistrement d'un débat judicaire devra respecter les principes directeurs du procès (la présomption d’innocence, le secret professionnel, les droits de la défense, la dignité, la sérénité, la sécurité des personnes, leur vie privée, leur droit à l'image).
La confidentialité des échanges entre l’avocat et son client au moment du procès devra être absolument garantie.
Les audiences non publiques ne devraient pas être rendues publiques par la diffusion des enregistrement sonore ou audiovisuel que le projet de Loi envisage, ou alors dans des circonstances très exceptionnelles et pas simplement avec l'accord de toutes les parties.
Le nouveau dispositif devra pouvoir s’articuler avec la protection des données personnelles et les règles qu'impose le RGPD.
Il devra aussi s'accorder avec le droit à l'oubli. Est-il raisonnables des années plus tard que les procès de personnes qui ont tourné la page ?
Sous réserve des nécessités de constituer une archive historique de la justice ou du devoir de mémoire pour les affaires les plus médiatiques, quel sens aurait, des années plus tard, la diffusion d’un film qui traiterait d’une affaire concernant des protagonistes qui auraient totalement changé de vie, qui seraient réinsérées, qui voudrait passer à autre chose… ? Et ce même, sous couvert qu’aucun élément d’identification des personnes enregistrées ne puisse, selon la loi, être diffusé.
C'est aussi la raison pour laquelle les conditions matérielles de l'enregistrement et les modalités de la diffusion du film du procès sur un support du type chaîne télévisée ou plateforme internet devra être strictement encadré par la loi. La loi en débat devrait définir des modalités précises et répondre aux questions : Comment ? Sur quel support ? Pour quelle durée ?
Si la loi rejette l'idée d'une diffusion en direct, la diffusion en différé devra néanmoins respecter une charte éthique, des modalités de cadrage ou de montage qui sont tout à fait essentiel pour la lisibilité du débat judiciaire et le respect des principes directeurs du procès dont il était question ci-dessus.
La liberté d'expression et la liberté de l'information comprenant le droit d'informer et le droit de chaque français à être informé, sont en jeu dans ce projet de Loi.
Sans doute pourrait-il être intéressant de prévoir la création d'un juge chargé du contrôle de l'enregistrement sonore ou audiovisuel des audiences (une sorte de "juge de l'image") devant lequel la décision de filmer pourra être prise et des recours pourront être engagés. Que serait-ce juge ? Un juge du siège semblable au Juge des Libertés et de la Détention ? S'agirait-il plutôt d'une Commission ad hoc comprenant des représentants du ministère de la justice, des représentants des différents professionnels du droit et des représentants de la presse et des médias ?
Le débat est ouvert.
La liberté d'expression et le droit à l'image sont au coeur du débat
L’intérêt du projet de Loi est indiscutablement de donner une définition nouvelle et plus moderne au principe lui aussi fondamental de la "publicité des débats", mais il ne faut pas que le nouveau dispositif conduise en dépit de ses vœux à un voyeurisme qui caractérise notre société du son et de l’image.
Quel que soit le dispositif adopté, le législateur ne devra jamais oublier la recommandation simple que faisait là encore l’ancien Garde des Sceaux Robert Badinter. S’il convient aujourd’hui d’examiner attentivement les moyens permettant d’améliorer la connaissance du public du fonctionnement de la justice, il y a lieu aussi de veiller « au respect de la présomption d’innocence, de la protection de la vie privée et du droit à l’image » afin de ne pas tomber dans les affres d’une "justice-spectacle" ressemblant plus à la téléréalité qu’à l’œuvre de Justice.
Et on pourrait ajouter : Il y a lieu de veiller au respect des droits de la défense dont chaque avocat est souverainement investi et dont le juge devrait être institutionnellement le garant
Pour aller plus loin
Lisez la note écrite sur ce sujet pour le Conseil National des Barreaux.
Elle est jointe à cet article.
Pour tous renseignements
Par mail ou par téléphone au 02 35 59 83 63
Arnaud de SAINT REMY
Avocat Associé – Ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats
Vice-Président de la Commission Libertés & Droits de l'Homme au Conseil national des barreaux
adestremy@emo-avocats.com