La sanction d'actes de concurrence déloyale par des dommages et intérêts confiscatoires

La sanction d'actes de concurrence déloyale par des dommages et intérêts confiscatoires

Le montant des dommages et intérêts alloués par les décisions des juridictions américaines donne le tournis.

Cela s’explique par la pratique de dommages et intérêts dits punitifs qui s’apparentent à une véritable amende civile.

Il en va différemment du régime de responsabilité applicable en droit français.

Les dommages et intérêts correspondent à la réparation du préjudice et doivent être fixés en considération de celui-ci, sans qu’il puisse en résulter aucune perte ou profit pour la victime.

Il est donc couramment jugé par la Cour de cassation qu’une faute, même caractérisée, n’implique pas nécessairement l’existence d’un dommage (cf notamment : Civ. 1ère, 18 novembre 1997 : n° 95-19516 ; Civ. 2ème 11 septembre 2008 : n° 07-20857).

Suivant une autre formule, il est encore régulièrement rappelé par la juridiction suprême que des dommages et intérêts ne peuvent être alloués que si le Tribunal, au moment où il statue, constate qu’il résultait un préjudice de la faute contractuelle (Civ. 3ème 3 décembre 2003 : n° 02-18033).

Sans prohiber en soi le principe d’une condamnation à des dommages et intérêts punitifs, la Cour de Cassation a toujours considéré que le montant ne pouvait en être alloué en disproportion au regard du préjudice subi et des manquements aux obligations contractuelles (Civ. 1ère 1er décembre 2010).

C’est donc par un important arrêt du 12 février 2020, que la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation s’est tout à la fois prononcée sur la sanction d’actes de concurrence déloyale et la consécration de dommages et intérêts qui peuvent à tout le moins être qualifiés de confiscatoires (faute d’être punitifs).

Le litige opposait deux sociétés de cristallerie de Moselle, dont l’une d’entre elles taillait et polissait ses produits sur place, en vue de la commercialisation de pièces haut de gamme, alors que l’autre commercialisait pour l’essentiel des produits en cristal fabriqués, taillés et polis en Chine et dans d’autres pays européens.

Les pratiques de concurrence déloyale consistaient pour cette dernière à mélanger dans ses catalogues de mise en vente quelques produits fabriqués et taillés dans ses propres ateliers, avec une majorité de produits importés de moindre qualité.

Les actes de concurrence déloyale sont de deux natures différentes.

D’une part, cela peut résulter de pratiques destinées à détourner ou s’approprier la clientèle de son concurrent, voire à la désorganiser.

Ce sera fréquemment le cas lorsque des salariés du concurrent sont débauchés en vue de piller le fichier clientèle de leur ancien employeur.

D’autre part, la concurrence déloyale peut résulter, comme dans les faits jugés par la Cour de Cassation, de pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements d’un concurrent, ou à s’affranchir d’une règlementation dont le respect a nécessairement un coût.

Dans le premier cas, il est assez facile de quantifier la perte subie et le manque à gagner pour la victime des actes de concurrence déloyale.

Il suffira de calculer le chiffre d’affaires perdu des clients passés à la concurrence du fait d’agissements malhonnêtes.

Dans le second cas, les troubles économiques sont difficiles à quantifier et à approuver, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu.

Dans son arrêt du 12 février 2020, la Cour de Cassation énonce donc l’attendu de principe suivant :

« Lorsque tel est le cas, il y a lieu d’admettre que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectés par ces actes ».

En termes concrets, elle approuve donc l’octroi de 300 000 € de dommages et intérêts au profit de la cristallerie victime d’actes de concurrence déloyale, correspondant à l’économie injustement réalisée par l’autre cristallerie.

Pour le calculer, il a été fait le constat que l’importation de produits bon marché permettait d’obtenir des prix de revient beaucoup plus bas en n’employant qu’un tailleur pour 6 mois, là où l’autre cristallerie en employait 8.

Il a également été fait le constat que la taille sur site de l’auteur des concurrences déloyales ne représentait que 10 % de son chiffre d’affaires de 5 000 000 €, alors que la taille de la victime des actes de concurrence déloyale, représentait 25 % de son chiffre d’affaires de 2 000 000 €.

Les 300 000 € de dommages et intérêts correspondent donc à la différence entre le montant consacré à la taille du cristal (25 % de 2 000 000 €, soit 500 000 €) et le montant qu’elle y aurait consacré si elle s’était contentée d’y affecter la même part que son concurrent, auteur d’acte de concurrence déloyale (10 % de 2 000 000 €, soit 200 000 €), soit 300 000 €.

Cette décision est d’une portée considérable en matière de concurrence déloyale.

Elle est susceptible d’aller bien au-delà.

La consécration de dommages et intérêts confiscatoires pourrait être appliquée à d’autres domaines de la responsabilité fondée sur un préjudice causé par des fautes commises dans la poursuite d’un but lucratif : atteinte à la vie privée par voie de presse, droit de la consommation, atteinte à l’environnement…

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Pascal MARTIN-MENARD
Avocat associé - Chargé du Pôle droit de la responsabilité
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