Dans un avis adopté le 28 avril, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) alerte sur l’urgence de permettre un retour à un fonctionnement normal de l’ensemble des institutions judiciaires.
Elle y exprime également son souhait de ne pas faire de l’état d’urgence sanitaire le droit commun procédural, ce dont de nombreux professionnels du droit s'inquiètent.
Explications.
Particulièrement sensible aux dangers que toute loi d’exception fait courir aux droits et libertés fondamentaux, la CNCDH s’inquiète de ce que les ordonnances du 25 mars 2020 relatives à la justice mettent en place une justice en mode dégradé qui aujourd’hui ne remplit plus la plupart de ses missions.
Dans son avis publié au JORF le 3 mai, elle relève une série d'atteintes à la continuité du service public de la justice.
La restriction de l’accès au juge aux contentieux dits "essentiels"
La CNCDH s’est ainsi interrogée sur la concentration des activités sur les contentieux dits
« essentiels » et sur les moyens donnés aux juridictions pour maintenir la continuité de l’accès à la justice sur le territoire national.
Le confinement a en effet suspendu une partie de l’activité judiciaire et, loin d’être réservées aux urgences, les modifications de procédure introduites par les ordonnances du 25 mars 2020 sont applicables dans tout le champ du droit civil, pénal et administratif, qui peut désormais être traité par écrit, sans audience et parfois même sans contradictoire.
Dans ce contexte, la CNCDH a émis les plus expresses réserves sur le maintien de telles règles hors les cas d’urgence, dans la stricte mesure de leur nécessité et proportionnalité, y compris pendant le confinement.
L’atteinte aux droits de la défense
La CNCDH s’inquiète en particulier de l’effectivité des droits de la défense.
En effet, les modifications apportées par les ordonnances du 25 mars 2020 ne garantissent pas l’exercice effectif du droit à l’assistance d’un avocat et reposent sur un pari qui n’a pas lieu d’être : celui de la confiance que l'avocat doit accorder au juge pour garantir la plénitude des droits de la défense.
- Utilisation au cours du procès de moyens de télécommunication (téléphone), y compris sans l’accord des parties, sans qu’on sache comment est garantit « la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats » ;
- Assistance de l’avocat en garde à vue par un moyen de communication électronique ou téléphonique, avec les mêmes réserves sur la confidentialité ;
- Possibilité pour l’avocat de présenter au juge des libertés et de la détention, en matière de détention provisoire, des observations orales « le cas échéant par un moyen de communication audiovisuelle » en confiant à ce même juge le soin de veiller « au respect des droits de la défense et en garantissant le caractère contradictoire des débats ».
Les atteintes en matière d’assistance éducative
Le juge des enfants peut désormais suspendre ou modifier les droits de visite et d’hébergement, sans audition des parents et des enfants et rien n’est mentionné sur la possibilité de présenter des observations. Les droits de visite peuvent être remplacés par de simples contacts téléphoniques. Le renouvellement de la mesure de placement, à l’expiration de la durée initialement fixée, lorsqu’elle arrive à échéance pendant la « période juridiquement protégée » est possible sans audition des parties.
La prolongation des détentions provisoires
La CNCDH estime que Les dispositions relatives à la détention provisoire ne sont pas admissibles et doivent être abrogées.
Ainsi, alors que l’état d’urgence sanitaire était censé prendre fin à la date du 24 mai 2020, rien ne justifie de prévoir une prolongation, de plein droit, de la détention provisoire.
Une telle prolongation est d’autant plus inacceptable qu’elle intervient sans débat contradictoire ni examen individuel de la situation par un juge, pourtant garant de la stricte nécessité des privations de liberté individuelle.
Par ailleurs, la CNCDH alerte les pouvoirs publics sur le danger de l’extension de ces durées de détention avant jugement.
Enfin, elles s'interroge sur le paradoxe, au moment où l’on tente de désengorger les prisons pour des raisons sanitaires évidentes, d’y maintenir des détenus provisoires dont on sait qu’ils constituent déjà plus du quart de la population carcérale.
L’application des peines
La CNCDH s’inquiète du doublement du délai d’examen des demandes d’aménagement de peine en cas d’appel suspensif du ministère public qui est susceptible de mettre en péril le projet de sortie et les dispositifs mis en place en matière d’emploi, de logement, de soins, etc., et donc de porter un préjudice grave aux personnes concernées.
De même, ell s’inquiète de la possibilité offerte à l’administration pénitentiaire d’incarcérer les personnes condamnées en maison d’arrêt, quel que soit le quantum de peine à subir.
Le risque de pérennisation des atteintes aux droits fondamentaux après déconfinement
La CNCDH met en garde contre la tentation d’un glissement des dispositions d’exception dans le droit commun, déjà observé à propos de l’état d’urgence à l’occasion de la menace terroriste.
Prenant acte des engagements souscrits par la Ministre de la Justice, Garde des Sceaux au nom du gouvernement aux termes desquels « les dispositions qui ont été prises sont temporaires », la CNCDH appelle le législateur à veiller à l’effectivité de cet engagement.
Leur prorogation contreviendrait à la prise en compte du justiciable, au respect des droits de la défense, à la recherche d’une bonne justice, craingant que les choix politiques visent des économies budgétaires.
Elle demande à ce que les droits de la défense et le principe du contradictoire soit rétablis pleinement.
La CNCDH réaffirme le caractère fondamental du droit d’accès effectif au juge en matière pénale comme en matière civile. Elle s’inquiète dès lors d’une accélération des politiques publiques qui, sous le prétexte de contraintes budgétaires, conduirait à une déjudiciarisation massive des contentieux. Cette inquiétude est renforcée par les annonces de certains chefs de juridiction fondant leur incitation de recourir aux procédures amiables, notamment en matière sociale, sur le poids cumulé des grèves et de la crise sanitaire.
En conclusion
La CNCDH demande, que dès le 11 mai soit pleinement rétabli l’accès de tous aux tribunaux, aux parloirs et plus largement à toutes les structures relevant du ministère de la Justice, dans la perspective du rétablissement le plus rapide possible d’un fonctionnement normal de l’Institution judiciaire et de la justice du quotidien.
Ceci implique notamment de la doter des moyens d’assurer la protection sanitaire des justiciables, de ses personnels et des auxiliaires de justice.
Retrouvez l'avis de la CNCDH in extenso (ci-dessous)
Arnaud de SAINT REMY
Avocat Associé – Ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats
En charge du Pôle Pénal des affaires chez EMO AVOCATS
adestremy@emo-avocats.com