Le Ministère de l’Intérieur vient de publier un modèle de justificatif de déplacements professionnels pour les salariés, agents et collaborateurs des entreprises ou des collectivités publiques.
Mais, en période exceptionnelle de confinement généralisé tendant à poser le principe d’une interdiction de se déplacer dans le but de limiter l’expansion de la pandémie de Coronavirus Covid-19, la question se pose de savoir quelles sont les risques juridiques de délivrer un justificatif de déplacements professionnels.
On rappellera que le Décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19 pose le principe en effet qu’est interdit jusqu'au 31 mars 2020 le déplacement de toute personne hors de son domicile à l'exception des déplacements pour les motifs prévus aux termes de ce décret.
Le texte envisage 5 situations particulières où le déplacement est exceptionnellement prévu. Nous avons consacré à ce sujet un article détaillé intitulé « Mesures visant la restriction des déplacements à compter du 17 mars 2020 (munissez-vous de l'attestation requise) » (v. le lien, ci-dessous).
Parmi ces situations, il y a les « trajets entre le domicile et le ou les lieux d'exercice de l'activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d'être différés ».
Le décret ne précise pas en quoi consistent des « déplacements professionnels insusceptibles d'être différés » ; Or, d’après les explications du Chef de l’Etat, du Ministre de l’Intérieur et des autorités de l’Etat, il s’agit de privilégier le confinement de la population, et partant pour les salariés la mise en place de solutions de télétravail.
De son côté, le Ministère de Travail rappelle en premier lieu que le télétravail est la règle impérative pour tous les postes qui le permettent. De même, il est rappelé que les règles de distanciation pour les emplois non éligibles au télétravail doivent impérativement être respectées et que toutes les entreprises qui subissent une baisse partielle ou totale d’activité sont éligibles au chômage partiel, en ce compris les professions libérales ou les indépendants pour lesquels un dispositif spécifique sera mis en place (https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/presse/communiques-de-presse/article/coronavirus-covid-19-et-monde-du-travail).
A lire aussi, le communiqué de presse diffusé récemment (en pièce jointe, ci-dessous).
De même, salariés et employeurs pourront se reporter utilement à la dernière FAQ (Questions Réponses pour les entreprises et les salariés) mise à jour par le Ministère du Travail, le 17 mars 2020 (voir, en pièce jointe).
On pourra considérer que, lorsque le télétravail est matériellement et techniquement impossible, le déplacement professionnel est susceptible de se justifier… notamment, selon les propos de la porte-parole du gouvernement, pour maintenir la continuité d’une chaine de production industrielle qui ne pourrait en aucun cas être interrompue ou d’un chantier destiné à prévenir un dommage imminent ou à assurer sans délai la sécurité des personnes et des biens (en cas, par exemple, de travaux urgents au sens des textes règlementaires) ou encore pour assurer la continuité d’un service public d’intérêt collectif indispensable aux usagers sans qu’il puisse être différé.
Toutefois, cette interprétation n’est pas exempte d’incertitudes. Ainsi, on ne sait pas vraiment si le seul critère de l'impossibilité de télétravail ou celui de l'urgence ou de l'impérieuse nécessité (déplacement ne pouvant être différé) se suffisent à eux-même. Sont-ils alternatifs ou cumulatifs ?
Il aurait été évidement souhaitable qu’un texte complémentaire comme une circulaire ministérielle vienne préciser d’avantage les choses. Elle viendra peut-être dans les jours prochains.
De tout sens, la jurisprudence sociale et/ou pénale aura sans doute vocation à s’exprimer dans les cas où ces personnels viendraient à être exposés à des risques inutiles ou des dommages occasionnés par une situation de travail qui aurait été maintenue en dépit des interdictions et des recommandations nationales, étant rappelé que les salariés conservent leur droit d'alerte et de retrait, lorsque la situation de travail présente un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé.
Ainsi, l’usage des attestations et/ou justificatifs de déplacements professionnels doit être évalué avec discernement en raison de l’obligation générale de l’employeur d’assurer la santé, l’hygiène et la sécurité de ses salariés.
L’employeur ne saurait les exposer à un risque d’une particulière gravité qu’il ne saurait ignorer.
Ainsi, en cas de déplacements professionnels insusceptibles d'être différés, tout doit être fait pour assurer la protection individuelle des salariés s’ils se rendent au travail dans ces conditions particulières, ce qui veut dire :
1/ Rappel et respect absolu des consignes de sécurité et, plus précisément du fait du Coronavirus, des règles sanitaires dits « barrières » ;
2/ Fourniture des EPI comprenant les protections spécifiques en matière sanitaire (gants, lunettes, masques, gels...) ;
3/ Mise en place d’un dispositif de surveillance du respect effectif de ces mesures de protection.
IMPORTANT : ce qu’il faut retenir c’est que l’attestation et/ou le justificatif de déplacements professionnels n’exonère aucunement l’employeur de ses obligations générales de santé, d’hygiène et de sécurité au travail. Bien au contraire. La prudence est donc de mise.
Tout manquement à une règle de prudence, de diligence ou d'attention exposerait l’employeur à un risque de responsabilité civile et/ou pénale pour blessures involontaires (en cas de maladie contractée sur les lieux de travail ou dans l'exercice du travail) voire d’homicide involontaire (en cas de décès des suites du Coronavirus).
Doivent, de tous sens, impérativement rester à la maison les salariés :
- malades ou particulièrement vulnérables ;
- qui sont l’un des deux parents qui assure la garde d’un enfant de moins de seize ans dont l’établissement scolaire est fermé ;
- qui sont en chômage partiel ;
- qui travaillent à distance (télétravail).
En conclusion, l’employeur ne doit donc prendre AUCUN risque face à la gravité de la pandémie.
C’est la raison pour laquelle de nombreux organismes professionnels invitent leurs adhérents au respect le plus stricte des consignes sanitaires et du principe d’interdiction de déplacements (sauf exception), en envisageant concrètement des solutions de chômage partiel, des demandes de report de charges, cotisations ou impôts et le recours aux réclamations indemnitaires qui pourraient être mises en œuvre par l'Etat, selon les promesses faites.
Autrement dit, même si l’objectif de cette autorisation de déplacements professionnels est de réduire les effets économiques du confinement et de permettre aux missions urgentes d’être effectivement assurées, mieux vaut partir du principe qu’il y a lieu d’éviter tout déplacement qui ne serait pas absolument nécessaire pour limiter la propagation du Coronavirus, plutôt que d'exposer son personnel et autrui à des risques sanitaires évidents dans le contexte actuel.
C’est d’ailleurs une question de civisme autant que de salubrité publique, l’objectif prioritaire étant de combattre la pandémie et d’y mettre un terme le plus rapidement possible.
En vous souhaitant une bonne santé et de pouvoir traverser dans les meilleures conditions possibles la crise sanitaire exceptionnelle que nous connaissons, nous restons à votre disposition pour toutes questions ou renseignements complémentaires.
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Emmanuelle DUGU-CHAUVIN
Avocat associé spécialiste en droit social
En charge du Pôle social du cabinet EMO AVOCATS
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Arnaud de SAINT REMY
Avocat Associé – Ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats
Ancien président de la Conférence Régionale des Bâtonniers de Normandie
Chargé du Pôle pénal, Presse, Média & Internet au Cabinet EMO AVOCATS
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