La réforme du traitement des pourvois : vers un filtrage qui pose une fois de plus la question de l'accès effectif au droit et à la justice. Que peut-on en penser ?

La réforme du traitement des pourvois : vers un filtrage qui pose une fois de plus la question de l'accès effectif au droit et à la justice. Que peut-on en penser ?

La Cour de cassation vient de transmettre, la semaine dernière, au garde des Sceaux une proposition tendant à créer une procédure de filtrage des pourvois, en sollicitant qu’elle soit intégrée au projet de Loi de Programmation de la Justice en cours d’élaboration*.

Cette proposition tend à instaurer un dispositif de filtrage des pourvois en cassation en matière civile pour limiter la saisine de la Haute Juridiction.

Pourquoi ?

Rappelons que c’est en septembre 2014 que le président Jean-Paul JEAN, directeur du Service de documentation, des études et du rapport (SDER), s’était chargé d’engager une réflexion au sein et en dehors de la Cour sur l’exercice de sa mission de juridiction supérieure au regard du contexte juridique et social, national et international, et de son évolution au cours des dernières décennies, empruntant de la sorte la démarche déjà suivie par d’autres pays européens tels que l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse ou l’Espagne.

Il avait été ainsi constitué une commission ad hoc chargée d’étudier de nouvelles modalités de traitement des pourvois, leur nature et le niveau des contrôles à opérer par la Cour de cassation, le but étant de coordonner ces contrôles avec ceux de la Cour européenne des droits de l’Homme et la Cour de justice de l’Union européenne.

Le rapport de la Commission présidée par Jean-Paul JEAN avait été déposé en mars 2017. Il y était notamment proposé d’instituer un filtrage des pourvois et l’enrichissement de la motivation des arrêts de la Cour.

Par la suite, le président Bruno PIREYRE, nouveau directeur du SDER, a été chargé le 20 mars 2017 de mener à bien la transformation de ces propositions en projets de dispositifs opérationnels. La première mission vient de s’achever le 15 mars 2018, tandis que l’aboutissement de la seconde est attendu pour la fin juin 2018.

La première branche de cette réforme a débouché sur un projet limité à ce stade au seul contentieux civil.

Son objet est d’instaurer un mécanisme de régulation des pourvois.

Actuellement, la Cour de cassation traite, chaque année, plus de 20.000 pourvois en matière civile. Selon le Président Bertrand LOUVEL, ce volume d’affaires nouvelles « ne lui permet plus d’assurer son office de cour supérieure avec la lisibilité et la réactivité nécessaires. Et ce d’autant plus qu’elle est soumise à l’influence toujours plus forte des juridictions européennes qui, au travers de leur mode de contrôle du respect des droits fondamentaux, l’invitent par voie de conséquence à adapter sa propre technique de cassation ».

L’introduction d’un filtrage à la Cour de cassation vise donc clairement à établir une véritable priorité dans le traitement et l’examen des recours.

Toujours selon le Président LOUVEL, les trois quarts des pourvois dont la Cour de cassation est saisie en matière civile chaque année sont voués à l’échec « parce qu’ils ne présentent pas de moyen sérieux de cassation, le justiciable tentant trop souvent d’obtenir devant un troisième juge ce qu’il n’a pu convaincre le premier juge et le juge d’appel de lui accorder. L’utilisation dénaturée du pourvoi apparaît ainsi, dans ces cas-là, comme une tentative d’échapper au cours normal de la justice. C’est pourquoi, loin de remettre en cause le droit à l’égal accès de tous au juge de cassation, le filtrage apparaît bien au contraire comme le procédé nécessaire pour établir une égalité véritable entre les justiciables devant la Cour, en garantissant à tous ceux dont la cause est sérieuse un traitement identique, à l’exclusion des pourvois reposant sur des moyens infondés, dont le rejet est inéluctable, et qui détournent la Cour de cassation de sa mission naturelle ».

Le filtrage serait aussi motivé par le mouvement d’Open data des décisions de justice actuellement à l’œuvre, et qui, à terme, mettra à la disposition de tous, pour les livrer à de nouveaux modes de recherche scientifique, l’ensemble des arrêts et jugements prononcés par les juridictions de l’ordre judiciaire.

En outre, la procédure de filtrage est un élément de plus de la réforme d’ensemble des voies de droit et de recours en matière civile. « La refonte nécessaire de l’architecture des recours, induite par la reconnaissance du premier juge comme celui du commencement et de l’achèvement normal du procès, conduit à en concentrer les moyens au premier degré de juridiction, et à consacrer l’immutabilité du litige entre la première instance et l’appel en optant pour un véritable second degré de juridiction limité au seul examen du jugement rendu au premier degré » écrit le Président LOUVEL.

Nous assistons donc à l’avènement de la procédure d’appel voie d’achèvement, et non plus voie de réformation.

« Cette évolution est appelée à accompagner un filtrage des pourvois conçu comme l’aboutissement d’une chaîne judiciaire rationalisée et réorganisée à partir du souci d’offrir au justiciable une plus grande célérité dans le traitement des contentieux, et une plus grande prévisibilité de la solution qu’il est en droit d’espérer, gage de sécurité et de stabilité juridiques pour tous », nous dit-on.

On ne peut être plus clair.

Au niveau de la Cour de cassation, l’économie du projet élaboré par la Cour de cassation est simple : introduire le filtrage des pourvois par la voie d’une demande d’autorisation qui sera appréciée à la lumière de critères alternatifs fondés sur l’intérêt que présente une affaire pour le développement du droit, l’unification de la jurisprudence, ou bien encore la préservation d’un droit fondamental auquel il serait gravement porté atteinte. « Il s’agit par-là de permettre à la Cour de cassation de sélectionner, sur la base d’une analyse préalable des principaux arguments présentés à leur appui, les pourvois justifiant un examen approfondi en considération des critères ainsi retenus », est-il ajouté.

Sous couvert de poursuivre un objectif louable de « permettre à la Cour de cassation de mieux remplir sa mission historique dans un environnement juridique qui subit une mutation majeure », la question demeure de savoir si cette réforme préservera effectivement le droit de tout justiciable à voir sa cause retenue.

En considérant qu’elle ne sera examinée devant la Cour de cassation que si « elle offre des raisons sérieuses de justifier son examen par la cour supérieure », on introduit sous la forme d’un filtrage insusceptible de recours des critères autonomes qui ne laissent pas place à la prévisibilité mais conduiront, pour des raisons finalement budgétaires, à réduire encore un peu plus l’effectivité du principe d’accès au droit et à la justice qui est, et devrait demeurer en toutes circonstances, une liberté publique individuelle garantie par les textes fondateurs de l’Etat de droit.

N'est-il pas dommage qu'en définitive, la France, patrie des droits de l’homme, en arrive là ?


*Nota :
Il est effectivement très possible que le nouveau dispositif soit introduit dans le projet de LPJ au travers d'amendements présentés par le Gouvernement. A suivre donc !...


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Arnaud de SAINT REMY
Avocat Associé
Ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats
Président de la Conférence Régionale des Bâtonniers de Normandie
Membre du Conseil de l’Ordre des avocats au barreau de Rouen
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