Procédure pénale : L'exercice des droits de la défense, remis en cause par l'annulation des dispositions qui permettaient à l'avocat de réaliser lui même une reproduction du dossier pénal

Procédure pénale : L'exercice des droits de la défense, remis en cause par l'annulation des dispositions qui permettaient à l'avocat de réaliser lui même une reproduction du dossier pénal

Les dispositions de l'article 10 du décret n°2022-546 du 13 avril 2022 portant application de la "Loi confiance" avaient permis une avancée majeure de l'exercice des droits de la défense.

Elles permettaient à l'avocat de réaliser lui même une reproduction de tout ou partie des éléments du dossier par tout moyen, et notamment par l'utilisation d'un scanner portatif ou la prise de photographie lorsque sa demande de copie du dossier n'avait pas pu encore être traitée.

Ces dispositions qui ne portaient, en vérité, nulle atteinte à la bonne administration de la justice viennent malgré tout d'être annulées par le Conseil d'État dans un arrêt du 24 juillet 2024 qui appelle une réforme législatives dans les plus brefs délais.

Rappel du contexte ayant conduit à l'adoption de l'article 10 du décret du 13 avril 2022

Le décret n°2022-546 du 13 avril 2022 est venu préciser les modalités d'application de diverses dispositions de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.

Il est entré en vigueur le lendemain de sa publication au JORF n°0088, soit le 15 avril 2022.

Depuis plus de deux ans, une pratique vertueuse a pu s'instaurer au fil du temps et une saine gestion de la justice. Vertueuse car cela tendait à faciliter l'exercice des droits de la défense. Saine car cela facilitait le travail des greffes déjà bien sollicités.

L’article 10 du décret a introduit dans le code de procédure pénale un article D. 593-2, qui dispose :

"Dans tous les cas où, en application des dispositions du présent code, un avocat peut demander la délivrance d'une copie du dossier de la procédure pénale, ainsi que dans les cas où, en application des articles 77-2, 80-2, 114, 388-4, 393, 394, 495-8, 627-6, 696-10, 706-105 et 803-3, il peut consulter ce dossier, l'avocat, son associé ou son collaborateur ou un avocat disposant d'un mandat écrit à cette fin peut, à l'occasion de cette consultation, réaliser lui-même une reproduction de tout ou partie des éléments du dossier par tout moyen, et notamment par l'utilisation d'un scanner portatif ou la prise de photographies. Il en est de même lorsque l'avocat consulte le dossier dans le cadre des procédures prévues par les articles 41-1 à 41-3-1 A. Cette reproduction est réalisée pour l'usage exclusif de l'avocat, qui ne peut la remettre à son client, si elle concerne un dossier d'instruction. / Cette reproduction ne fait pas obstacle au droit de l'avocat d'obtenir, dans les cas et dans les délais prévus par le présent code, une copie du dossier auprès de la juridiction. / Si le dossier est numérisé, l'avocat ne peut refuser d'en recevoir une copie sous forme numérisée, le cas échéant selon les modalités prévues par l'article 803-1, sauf, dans le cas prévu par les articles 114 et R. 165, décision contraire du juge d'instruction ; en cas de numérisation partielle du dossier, la copie de la partie du dossier non numérisée est remise sur support papier".

Or, le texte a été mis en cause par un nombre limité de personnes. 

Comment les dispositions du décret ont-elles été attaquées ?

Par deux requêtes enregistrées, les 2 et 9 juin 2022, l'Union syndicale des magistrats et l’Association française des magistrats instructeurs ont demandé au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir notamment les dispositions de l'article 10 de ce décret.

Les requérantes soutenaient que ces dispositions étaient entachées d’incompétence en ne se bornant pas à déterminer les modalités d’application de règles fixées par le législateur et relevaient ainsi du domaine réservé à la loi par l’article 34 de la Constitution.

Malgré les moyens développés par le Garde des Sceaux tendant à écarter ces demandes et ceux développés par le Conseil national des barreaux et la Conférence des Bâtonniers, le Conseil d'État a prononcé l'annulation des dispositions de l'article 10 du décret attaqué. 

Quels sont les motifs retenus pour prononcer l'annulation de l'article 10 ?

Dans son arrêt du 24 juillet 2024, le Conseil d'État a considéré "d'une part qu'il ne résultait pas des dispositions législatives du code de procédure pénale prévoyant qu’un avocat peut demander à l’autorité compétente la délivrance d’une copie du dossier de la procédure pénale que le législateur aurait, dans ces cas, également entendu permettre que l’avocat puisse réaliser, par lui-même, une reproduction de tout ou partie de ce dossier à l’occasion de la consultation de celui-ci."

Il a considéré, "d'autre part, que les articles 77-2, 80-2, 114, 393, 394, 495-8, 627-6, 696-10, 706-105 et 803-3 du code de procédure pénale prévoient, dans le cadre des procédures qu’ils encadrent respectivement, que les avocats peuvent consulter le dossier ou que celui-ci est mis à leur disposition. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu, s’agissant des procédures concernées, limiter le droit des avocats à une simple consultation du dossier, sans leur permettre d’en obtenir une copie ni a fortiori d’en réaliser par eux-mêmes une reproduction intégrale ou partielle dans le cadre de cette consultation."

Dès lors, l’article D. 593-2 fixait, selon lui, des règles nouvelles en ne se limitant pas à déterminer les modalités d’application des règles déjà fixées en ce domaine par le législateur. Il en était aussi des dispositions permettant aux avocats de réaliser eux-mêmes des reproductions du dossier.

Au final, le Conseil d'Etat a jugé que "l’ensemble des dispositions introduites dans le code de procédure pénale par l’article 10 du décret attaqué relèvent du domaine réservé à la loi par l’article 34 de la Constitution et sont entachées d’incompétence."

D'où leur annulation.

Quelles conséquences pour les avocats ?

Si le Conseil d'État n'a pas jugé que l'annulation devait être rétroactive, cela pour éviter les conséquences manifestement excessives sur le fonctionnement du service public de la justice, il a retenu que l'annulation était à effet immédiat.

L'avocat ne peut donc plus désormais bénéficier des avantages qui lui accordait l'article 10 du décret et ne peut plus désormais prendre copie du dossier pénal lui-même, mais seulement le consulter, cela parfois dans des conditions matérielles d'inconfort.

Cette remise en cause de l'exercice des droits de la défense est regrettable.

En tout cas, il revient maintenant au législateur de modifier les textes du code de procédure pénale pour permettre que l'avocat puisse exercer pleinement les droits de la défense en ayant un plein accès au dossier et à sa copie, comme le ministère public peut avoir immédiatement la copie du dossier, ceci dans le respect du principe de l'égalité des armes.

La profession va très certainement appeler à une évolution de la loi.

Entre-temps, et sous réserve d'une pratique qui continuerait à être admise localement, il reviendra aux services judiciaires dont on connait la surcharge de disposer des moyens matériels et humains nécessaires pour que, lorsqu'une demande de copie aura été faite par l'avocat dans les conditions prévues par le code de procédure pénale, elle puisse être délivrée sans délai.

Arnaud de SAINT REMY
Avocat Associé en charge du Pôle pénal du Cabinet EMO AVOCATS, ancien bâtonnier, élu au Conseil national des barreaux


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