Quels droits accorder aux générations futures ? Le Conseil Constitutionnel vient de leur attribuer un strapontin au Parlement.

Quels droits accorder aux générations futures ? Le Conseil Constitutionnel vient de leur attribuer un strapontin au Parlement.

Très attendue par les spécialistes du droit de l’environnement, la décision rendue le 27 octobre 2023 par le Conseil Constitutionnel vient en effet de consacrer la valeur constitutionnelle du droit à la protection des générations futures inscrit dans le préambule de la Charte de l’environnement de 2004.

La décision du Conseil Constitutionnel ne le fait pas explicitement, mais les motifs sur lesquels repose cette décision démontrent l’importance que le Conseil constitutionnel attache à la préservation de la liberté de choix des générations futures au travers d’une formule de principe :

« Le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard. »

Pour bien comprendre les enjeux de la question posée au juge constitutionnel, revenons à l’origine de sa décision.

Rappelons tout d’abord qu’elle concerne le sujet sensible de l’enfouissement des déchets radioactifs dont le mécanisme est régi par l’article L 542-10-1 du code de l’environnement.

Le 7 juillet 2022, sur le fondement de ce texte, un décret déclare d’utilité publique le centre de stockage en couches géologiques profondes de déchets radioactifs sur le site de Bure (dans la Meuse).

En mai et juin 2023, plusieurs associations saisissent le Conseil d’État d’une demande d’annulation pour excès de pouvoir de ce décret en invoquant le caractère non constitutionnel de cet article et en soulevant à cet effet une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Par une décision du 2 août 2023, le Conseil d’Etat fait droit à cette demande préalable et décide de renvoyer au Conseil constitutionnel le contrôle de la constitutionnalité de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement.

Conseil d'Etat 2 août 2003 n°467370

Ce qui est intéressant à ce stade, c’est le motif retenu par le Conseil d’état pour justifier sa décision : il reconnaît comme nouvelle la question soulevée par les requérants, à savoir la conformité de cet article avec l’application des dispositions de la Charte de l’environnement (qui prévoit un principe de solidarité entre les générations notamment dans le préambule) d’une part et avec un principe de fraternité entre les générations d’autre part.

En particulier, le préambule de la Charte de l’environnement de 2004 (intégrée au « bloc de constitutionnalité » en 2005) proclame « Qu'afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

Lors des débats qui se sont tenus le 17 octobre 2023, l’Andra (l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs) a soutenu l’irrecevabilité de la demande au motif que les générations futures (que l’ANDRA a pourtant pour mission de protéger) n’existent pas au jour de l’action, autrement dit qu’elles ne seraient pas un sujet de droit habilité à agir en justice.

Mais comme souvent en droit, cette question de la recevabilité (qui fera assurément l’objet d’un débat devant le Conseil d’état saisi du recours pour excès de pouvoir) est étroitement liée à l’examen du fond, à savoir l’analyse précise de la demande.

Or, sur le fond, le débat porte sur la réversibilité du stockage, c’est-à-dire « la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l'exploitation des tranches successives d'un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion. » (L. 542-10-1 du code de l’environnement)

Plus concrètement, les conditions de réversibilité permettant aux générations futures de modifier les choix initiaux sont-elles garanties par le principe de l’enfouissement « en couches géologiques profondes » compte tenu du délai incompressible pour rendre ces déchets inertes ?

Pour les pourfendeurs de cette solution, la loi n’assure pas ces garanties, dont les générations futures seront les seuls bénéficiaires.

Qu’a répondu le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 octobre 2023 ?

Que cet article L. 542-10-1 du code de l’environnement assurait les garanties de réversibilité suffisantes au travers des différents mécanismes d’étude d’impact préalable, de consultation, d’autorisation, d’une phase pilote suivie de contrôles réguliers.

De telle sorte que la mise en œuvre de ces moyens permettra de prévenir ou de limiter les charges qui seront supportées par les générations futures, en préservant leur liberté de choix à cet égard.

Sur ce point, la décision rendue par le Conseil constitutionnel constitue une avancée majeure.

Décision n° 2023-1066 QPC du 27 octobre 2023

Contacts

Frédéric CANTON

Avocat associé

fcanton@emo-avocats.com