Baux commerciaux : le lissage du déplafonement (article L145-34 C.Com.) est conforme à la constitution

Baux commerciaux : le lissage du déplafonement (article L145-34 C.Com.) est conforme à la constitution

Le 6 février 2020, le Conseil Constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation d’une question relative à la conformité de l’article L. 145-34 du code de commerce aux dispositions de la Constitution (arrêt de saisine ici).

Les faits ayant conduit à la saisine du Conseil Constitutionnel

La société A D. est propriétaire d’un local à usage commercial donné à bail à Mme X.. Le bail commercial a été renouvelé le 1er juillet 2016 après un précédent renouvellement le 16 septembre 2008.

La locataire avait formulé devant le juge des loyers commerciaux une demande en fixation du prix du bail renouvelé à compter du 1er juillet 2016 sur le fondement de la loi du 18 juin 2014 (dite loi Pinel) et son décret d’application.

Reconventionnellement, la société A D., bailleresse, a sollicité le rejet de la demande en indiquant que - selon elle - la loi du 18 juin 2014 et son décret d’application n'étaient pas applicables au contrat de bail renouvelé le 1er juillet 2016.

Le juge des loyers commerciaux puis la Cour d’appel de Paris ont fait droit à la demande de la locataire et jugé que les articles issus de la loi du 18 juin 2014, dont l’article L. 145-34 du code de commerce, étaient applicables au bail renouvelé.

La société A.D. a formé une question prioritaire de constitutionnalité arguant que l'article L.145-34 alinéa 4 portait atteinte aux conditions d'exercice du droit de propriété des bailleurs privés.

Analyse

L'article L. 145-33 du code de commerce dispose que le loyer du bail commercial renouvelé doit correspondre à la valeur locative du bien loué et que, à défaut d'accord des parties, cette valeur est déterminée d'après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité et le prix couramment pratiqué dans le voisinage. 

Le premier alinéa de l'article L. 145-34 du code de commerce instaure un plafonnement du loyer renouvelé, en prévoyant que son taux de variation ne peut excéder la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré. 

Cependant plafonnement n'est pas applicable :

En présence d’une exclusion conventionnelle ;

- Si la durée du bail initial ou renouvelé est supérieure à neuf ans ;

- Si le bail initial s’est poursuivi tacitement au-delà du terme contractuel au-delà de 12 ans;

- En cas de modification notable aux caractéristiques du local loué, à sa destination aux obligations des parties, aux facteurs locaux de commercialité apportées au cours du bail précédent ;

- Selon la nature des locaux : terrains nus, locaux monovalents et bureaux.

Dans ces cas, le plafonnement du loyer renouvelé peut être écarté au profit du déplafonnement, de telle manière que son montant devra correspondre à la valeur locative du bien.

La loi du 18 juin 2014 est venu modifier l'alinéa quatre de l'article 145-34 du code de commerce en instaurant un mécanisme de lissage du loyer déplafonné à la valeur locative. Ce mécanisme permet au locataire de ne pas subir immédiatement l’augmentation du loyer en l’étalant dans le temps. Cet alinéa est rédigé comme suit :

En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.

Ainsi, en cas de déplafonnement du loyer d’un bail commercial, l'augmentation ne peut être supérieure de plus de 10 % par an au loyer de l’année précédente, et ce, jusqu’à atteindre la valeur locative convenue ou fixée judiciairement.

Ces dispositions empêchent donc le bailleur de percevoir, dès le renouvellement de son bail et le cas échéant jusqu'à son terme, un loyer correspondant à la valeur locative de son bien lorsque ce loyer est supérieur de 10 % au loyer acquitté lors de la dernière année du bail expiré.

La société A.D faisait donc valoir que cette disposition portait une atteinte aux conditions d'exercice du droit de propriété des bailleurs privés.

Réponse du Conseil Constitutionnel

Le Conseil constitutionnel rappelle qu'il est loisible au législateur d'apporter aux conditions d'exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi

1) en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu éviter que le loyer de renouvellement d'un bail commercial connaisse une hausse importante et brutale de nature à compromettre la viabilité des entreprises commerciales et artisanales. Selon le Conseil, la disposition poursuit donc un objectif d'intérêt général.

2) les dispositions contestées permettent au bailleur de bénéficier, chaque année, d'une augmentation de 10 % du loyer de l'année précédente jusqu'à ce qu'il atteigne, le cas échéant, la nouvelle valeur locative. Le législateur n'aurait donc pas porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété.

3) Enfin, les dispositions contestées ne sont pas d'ordre public. De fait, les parties peuvent convenir de ne pas les appliquer, soit au moment de la conclusion du bail initial, soit au moment de son renouvellement.

Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel considère que le législateur n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété et que dernier alinéa de l'article L. 145-34 du code de commerce est conforme à la Constitution.

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Avocat associé du cabinet EMO AVOCATS
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