La 2ème Chambre civile de la Cour de cassation donne une illustration intéressante de ce principe de responsabilité civile de l'automobiliste ou du propriétaire du véhicule dans un arrêt n°573 du 18 avril 2019 (Pourvoi n°18-14.948)
Dans cette espèce, la victime avait perdu le contrôle de sa moto au moment où elle dépassait un tracteur appartenant à une collectivité publique (en l’occurrence, le Conseil général du Territoire de Belfort) lequel était en train de procéder au fauchage du bas-côté de la route.
La victime avait alors assigné devant les juridictions civiles le Département responsable et son assureur, en présence de la caisse primaire d’assurance maladie pour obtenir la réparation de ses différents préjudices.
Condamnés en appel, les défendeurs faisaient grief à la décision des juges d'appel d'avoir déclaré le Département intégralement responsable des préjudices subis par le motocycliste victime du fait de l’accident survenu et donc d’avoir ordonné une expertise médicale aux fins d’évaluer ses préjudices, outre le paiement d’une indemnité provisionnelle de 50.000 € à valoir sur son droit à réparation.
Les défendeurs avançaient l’argument selon lequel "n’est impliqué dans un accident de la circulation que le véhicule qui a joué un rôle causal dans sa réalisation".
Or, selon eux, la seule présence d’un véhicule sur les lieux d’un accident de la circulation ne suffit pas à caractériser son implication dans ledit accident ; de sorte qu’en déduisant l’implication du tracteur dans l’accident de sa seule présence sur la voie de circulation ayant amené la victime à une manœuvre de dépassement, la cour d’appel aurait violé l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985.
La Cour de cassation écarte cette argumentation en rejetant le pourvoi formé contre l’arrêt de la Cour d’appel de Limoges du 15 février 2018 dont l'analyse est confirmée par la Haute Juridiction.
Elle note que les juges d’appel ont souverainement considéré pour établi que la victime avait perdu le contrôle de sa moto au moment où elle se rabattait sur sa voie de circulation et que c’était la présence du tracteur qui, alors qu’il était en action de fauchage, circulait à allure très réduite et empiétait sur la voie de circulation, l’avait ainsi contraint à cette manœuvre de dépassement.
Ainsi, la Cour de cassation estime que la cour d’appel a exactement décidé que ce tracteur était impliqué dans l’accident.
D’où le rejet du pourvoi et le principe de responsabilité du propriétaire du véhicule impliqué.
Que retenir de cet arrêt ?
Deux choses essentiellement.
1°) D’abord, le premier enseignement de cet arrêt est que les seules juridictions compétentes en cas d’accident de la circulation sont les juridictions civiles.
Même si un accident de la circulation met en cause un agent public ou un véhicule de l’administration, l’indemnisation de la victime relève de la compétence exclusive des juridictions de l’ordre judiciaire. Elles seules peuvent connaître des actions en responsabilité visant la réparation des dommages de toute nature provoqués par un véhicule. Il convient d’indiquer que la responsabilité de la personne morale de droit public se substitue alors à celle de son agent, auteur des dommages.
Ce principe avait été réaffirmé par la Cour de cassation en 2014 (v. son arrêt n° 4275 Chambre Criminelle, 23 septembre 2014, pourvoi n°13-85.311).
2°) Ensuite, le second enseignement de cet arrêt réside dans le fait que la Cour de cassation donne ici une illustration intéressante de la notion d’implication d’un véhicule dans un accident de circulation.
Le principe est le suivant : doivent indemniser la victime d’un accident de la circulation le conducteur et/ou le propriétaire d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans cet accident.
L’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 n’exige pas que le véhicule soit impliqué dans le dommage, lui-même ; il doit seulement l’être dans l’accident.
Cela signifie donc qu’il appartient à la victime d’établir que le dommage peut être rattaché directement ou indirectement à l’accident.
La jurisprudence a toujours considéré que l’implication du véhicule est une notion plus large que la notion de causalité, la loi n’exigeant pas nécessairement que soit établi un rapport causal entre le véhicule responsable et l’accident pour que la responsabilité soit engagée.
Elle révèle que cette notion est appréciée de manière différente selon qu’il a eu implication du véhicule par contact matériel ou non dans l’accident.
Dès lors qu’il y a eu contact matériel, le véhicule est impliqué dans l’accident, peu importe qu’il ait été en mouvement, à l’arrêt ou en stationnement. Tout contact matériel signifie par principe implication et le conducteur ou le propriétaire du véhicule ne peuvent pas combattre cette présomption d’implication en rapportant la preuve contraire.
Les juges ont tendance à considérer que cette présomption est irréfragable.
A l’inverse, il ressort de la jurisprudence que l’implication n’exige pas nécessairement l’établissement d’un contact matériel lors de l’accident, là encore que le véhicule ait été ou non en mouvement.
La Cour de cassation a, par le passé, déjà eu l’occasion de réaffirmer sens qu’il y a implication dès lors qu’un véhicule terrestre à moteur « est intervenu, à quelque titre que ce soit, dans la survenance de l’accident » (Cour de cassation 2ème Chambre civile, 18 mai 2000, pourvoi n°98-10.190).
Pour établir la responsabilité du véhicule, il appartiendra donc le plus souvent à la victime de démontrer le rôle perturbateur que le véhicule a eu lors de l’accident.
C’était justement le débat dans l’arrêt rendu le 18 avril 2019 devant la Cour de cassation présentement commenté.
Il faut dire que la deuxième chambre civile avait précisé dans un passé récent, par un arrêt du 13 décembre 2012, que « la seule présence d’un véhicule sur les lieux d’un accident de la circulation ne suffit pas à caractériser son implication » au sens de la loi du 5 juillet 1985 (Cour de cassation 2ème Chambre civile, 13 décembre 2012, pourvoi n°11-19.696).
Dans son arrêt du 18 avril 2019, sans revenir sur sa jurisprudence antérieure, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation précise encore un peu plus les choses dans l'intérêt du droit des victimes à obtenir une juste réparation de leur préjudice.
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Arnaud de SAINT REMY
Avocat Associé en charge du Pôle Indemnisation du dommage corporel au cabinet EMO AVOCATS
Ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats
Ancien président de la Conférence Régionale des Bâtonniers de Normandie
Membre du Conseil de l’Ordre des avocats au barreau de Rouen
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ARRÊT N°573 DU 18 AVRIL 2019 (18-14.948) - COUR DE CASSATION - DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE