Un récent arrêt de la Cour de cassation (Civ. 2ème 19 mai 2022 n°21-14616) vient faire d’utiles rappels sur les conséquences (ou non) d’une communication tardive de pièces dans le cadre d’une procédure d’appel à bref délais.
Rappel des faits et de la procédure
Les faits sont sommes toutes classiques ; une partie fait appel d'une ordonnance de référé, laquelle relève de la procédure à bref délai prévue par à l’article 905 du Code de procédure civile.
Dans le cadre de cette procédure spécifique, l’appelant dispose d’un délai d’un mois pour conclure tout comme l’intimé.
L'appelant a remis et notifié ses conclusions dans le délai fixé à l’article 905-2 du Code de procédure civile sans pour autant procéder à la communication simultanée de ses pièces.
L’intimé va, de son côté, conclure dans le délai d’un mois qui lui est imparti sans pour autant disposer des pièces de son contradicteur.
L’appelant attendra, en effet, l’expiration du délai d’un mois dont disposait l’intimé pour conclure pour procéder à cette communication.
L'intimé sollicitera que les pièces de l’appelant soient écartées et que ses conclusions soient déclarées irrecevables, au motif que les pièces de ne lui avaient pas été communiquées dans le délai d’un mois dont il disposait pour conclure.
La cour d'appel déclare les pièces et conclusions recevables, et l’intimé forme un pourvoi en cassation.
Que dit la Cour de cassation ?
La Cour de cassation approuve le raisonnement de la Cour d’appel en indiquant notamment «que les intimés avaient conclu, le 19 juin 2020, dans le délai imparti par l'article 905-2 du code de procédure civile, et que si l'appelante avait communiqué à la partie adverse les pièces, figurant sur son bordereau de communication de pièces annexé à ses conclusions, après l'expiration du délai des intimés pour conclure, la sanction de cette communication tardive ne pouvait, au regard de l'article 906 du même code, être l'irrecevabilité des conclusions de l'appelante, notifiées dans le délai de l'article 905-2 requis, c'est à bon droit et sans méconnaître le principe de la contradiction que la cour d'appel, après avoir constaté que l'appelante avait communiqué ses pièces le 24 juin, permettant ainsi aux intimés de conclure utilement au fond bien avant la date de clôture fixée au 22 octobre 2020, a déclaré recevables les conclusions et pièces de l'appelante ».
Si la deuxième chambre civile de la Cour de cassation nous avait habitué à de plus de rigueur et de formalisme dans ses dernières décisions (une récente décision de la Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs condamné le formalisme excessif de la Cour de cassation relative à l’obligation de communiquer par voie électronique – CEDH 9 juin 2022 – Xavier Lucas c. France n°15567/20) cette solution n’est toutefois pas surprenante eu égard aux principes régissant la communication de pièces en appel et la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation en la matière.
Commentaires
Jusqu’à une période récente (et notamment jusqu’à l’entrée en vigueur du décret Magendie), seules les pièces nouvelles étaient soumises à l’obligation de communication en cause d’appel. Cette règle était due à la nature de la procédure d’appel qui consiste à connaitre d’une affaire qui a déjà été jugée en première instance.
La logique conduisait donc à considérer qu'il n'était pas utile de communiquer les pièces à nouveau en appel dans la mesure ou chacune des parties avait, en théorie, déjà eu communication de ces dernières lors de la première instance.
Cette règle a évolué à la suite des différentes réformes qu'a connu la procédure d'appel, l'article 906 du code de procédure civile posant aujourd’hui deux principes : d’une part les conclusions et les pièces doivent être communiquées simultanément et d'autre part les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables sont elles-mêmes irrecevables.
Néanmoins, cet article ne pose aucune sanction à l’absence de communication simultanée des conclusions et des pièces, seule l’absence de communication des conclusions dans les délais fixés par les articles 905-2, 908 et 909 étant sanctionné soit par la caducité de la déclaration d‘appel (pour l’appelant) soit par l’irrecevabilité des conclusions (pour l’intimé).
C’est d’ailleurs sur la base de ce dernier article que la Cour de cassation a rendu la décision commentée en indiquant justement que « Cet article n'édictant pas de sanction en cas de défaut de communication des pièces simultanément à la notification des conclusions, même lorsque l'affaire est fixée à bref délai en application de l'article 905-1 précité, le juge est toutefois tenu de rechercher si ces pièces ont été communiquées en temps utile ».
Si aucune sanction n’a été prévue par le législateur il sera rappelé que le Juge qui n’est que « la bouche qui prononce les paroles de la loi » selon la formule de Montesquieu ne peut donc ajouter une sanction telle que la caducité ou l’irrecevabilité que législateur n’a pas prévu.
Si aucune sanction n’est donc édictée par les textes, il convient de rappeler que l’article 16 du Code de procédure pose le principe général selon lequel le juge doit en toute circonstance faire observer le principe du contradictoire en précisant que « Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement ».
Dès lors, si aucun texte ne prévoit de délai particulier pour une communication de pièces en cause d’appel, ces dernières doivent être communiquées « en temps utiles » c’est-à-dire dans un délai permettant à chacune des parties de débattre de ces dernières.
En l’espèce, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a relevé que l’intimé avaient conclu le 19 juin 2020, que l'appelant avait communiqué ses pièces le 24 juin 2020 et que la date de clôture avait été fixée au 22 octobre 2020.
L’intimé avait donc un délai de 4 mois pour prendre connaissance des pièces communiquées par l’appelant et au besoin y répliquer par l’envoie de nouvelles conclusions.
Dès lors aucune atteinte au principe du contradictoire n’a été relevé par les Juges au cas d’espèce dans la mesure ou même en l'absence des pièces de l'appelant, un intimé, qui rappelons-le est déjà en possession des pièces de l’appelant communiquées en première instance, n'est pas pour autant démuni pour conclure dans le délai qui lui est imparti quitte à compléter par la suite ses conclusions.
En tout état de cause, l'intimé devra impérativement conclure même en l’absence de communication de pièces par l’appelant dans le délai qui lui est imparti faute de quoi ce sont ses conclusions et ses pièces qui seront déclarées irrecevables.
Si cette décision semble logique eu égard à la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation en la matière et des pratiques antérieures aux réformes successives de la procédure d’appel, elle n’en demeure pas moins injuste pour l’intimé qui devra prendre de premières conclusions obéissant au principe de la concentration des prétentions sans disposer de l’ensemble des éléments nécessaires pour pouvoir prendre des conclusions exhaustives.
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Loïc LE LAY
Avocat au cabinet EMO AVOCATS
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